à Nanci ce 12 avril 1754
Monsieur,
On me mande qu'on s'est trompé, que nos lettres ne sont point imprimées; mais seulement que des copies sont répandues dans Paris; vous n'êtes pas moins fondé à vous en plaindre; on vous a manqué indécemment, et on m'a compromis; ni vôtre lettre ni ma réponse n'étoient faites pour le public.
Je vous l'ay dit, Monsieur, et il est vray, je ne les avois communiqué qu'au seul père provincial, afin de le mettre au fait, et de concerter avec luy les avis à donner au particulier, dont vous vous plaigniés; je ne comprends pas, comment un homme aussy sage que le père Fagnier a pu laisser transpirer ces lettres; je suis persuadé qu'il sera aussy mortifié que moy, quand il sçaura l'usage qu'on en a fait; le copiste mériteroit d'être puni; certains endroits qu'il a omis, d'autres qu'il a altéré ou changé décèlent sa malice et prouvent son infidélité; dans l'état déplorable où est actuellement vôtre santé, vous n'aviés pas besoin de ce surcroit de chagrins; je vous assure Monsieur, que je le partage bien sincèrement avec vous; mais j'admire et j'adore la providence; elle ne vous a jamais perdu de vûe; elle a des deisseins particuliers sur vous; elle n'a cessé de semer des épines sous tous vos pas; elle a détrempé d'amertume vos plus belles années et vos plus brillants succès; j'en augure bien pour vôtre salut; ce n'est qu'aux grandes âmes que dieu ménage de grandes épreuves. Je plains un infidèle, quand je le vois en proye à la douleur, ou aux prises avec la mort; comme il n'a point d'espérance pour l'autre vie, il ne peut avoir de solides consolations en celle ci; pour nous monsieur qui avons le bonheur de croire, nous ne souffrons pas sans mérite, nous ne mourrons pas sans ressource, nous trouvons dans la religion sainte que nous professons, et nous ne trouvons que par elle seule, des motifs puissans pour nous engager à mettre à profit le songe de la vie, et des moyens efficaces pour nous précautionner contre les terreurs et les suittes de la mort. Sans doute que dans l'état de langueur où vous réduit actuellement la maladie ces salutaires réflexions ne vous échapent pas; vous êtes plus capable que tout autre de les bien approfondir; vous le devés; dieu l'attend de vous; je vous y exhorte du fonds de mon coeur; supportés mon zèle en faveur de mon amitié; je ne prétends pas vous instruire, je cherche à vous consoler; et je voudrois pouvoir vous convaincre à mon gré du sincère et respectueux dévoument avec lequel j'ay l'honneur d'être
Monsieur
Votre très humble et très obéissant serviteur
De Menoux jésuite