1755-05-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Élisabeth de Dompierre de Fontaine, marquise de Florian.

Ma très chère nièce, le plus grand de mes chagrins est d'être devenu maçon, puisque je n'ai pu encore vous faire un appartement pour un été.
Nous ne sommes plus dans le temps d'Amphion qui bâtissait avec sa lyre. Je suis excédé d'ouvriers: consolez moi, et embellissez ma maison par vos ouvrages. Ils me seront un gage que vous y viendrez l'année prochaine. Vous et vos dessins, vous serez l'ornement de ma retraite. Si votre fils, qui est le meilleur de vos ouvrages, peut ne pas s'ennuyer, et ne pas perdre son temps dans une campagne, vous feriez très bien de le mener avec vous. Je ne vous parle pas de votre abbé; j'imagine qu'il ne ferait pas un voyage en terre hérétique dans le temps qu'il a besoin des biens de l'église. On dit que l'évêque de Mirepoix lui joue le tour de mourir avant d'avoir signé la feuille, et qu'il faudra recommencer à faire de nouvelles batteries auprès du successeur. Je le plains d'attendre si longtemps. Il serait bien doux d'avoir de quoi satisfaire ses goûts impunément.

Je ne m'intéressais guère à mes magots de la Chine; mais vous les approuvez, et vous me les rendez chers. J'y mettrai quelques couches de vernis quand je pourrai jouir de mon âme en paix; mais à présent je ne peux suffire ni aux soins qu'exige mon nouvel établissement, ni à cette histoire générale qui est devenue pour moi un devoir et un fardeau, ni aux attentions que demande ma malheureuse santé. Je ne songe à la Chine que par rapport à m. de Ximenès. Comment se peut il faire qu'il ait connaissance des cinq magots? était il chez m. d'Argental le jour qu'on vous les montra? Le Kain avait le paquet cacheté à l'adresse de m. d'Argental; et je ne puis comprendre comment m. de Ximenès l'a vu, à moins qu'il n'ait ouvert le paquet comme dans Amphitrion. Je vous prie d'éclaircir sur cela mon doute, et de me tirer d'inquiétude. Je crains une infidélité. J'y suis sujet; et la défiance m'est pardonnable.

Vraiment ma chère enfant, je suis très content de la lettre de votre fils et voici ma réponse:

Mon cher petit neveu, vous tenez fort de votre mère; vous êtes très aimable, votre vieux grand oncle serait fort consolé de vous voir dans son ermitage et voudrait pouvoir vous y procurer les agréments convenables à votre âge. Mais comme vous me paraissez avoir plus de mérite que d'années, je vous crois très capable de soutenir la campagne sans ennui. Vous serez d'ailleurs avec une mère qui rend tous les séjours charmants.

Faites mes compliments à mr votre père, et aimez un peu le grand oncle.