1755-03-10, de Jean Frédéric Flachsland à Baron Reinhard von Gemmingen.

M.

… La saison ne paroit pas bien propre pour la vente des grains d'autant plus qu'ils ne sont rien moins que chers dans ce Païs ici, le résal de froment contenant 6 Boisseaux vallant 11lt à 11lt 10s, le méteil ou seigle mélé un peu de froment 7lt 10s, et le seigle pur 6lt 10s et l'orge 4lt 5s à 4lt 15s le resal.
Mais V. E. permettra d'avoir l'honneur de lui observer, que la moisson de l'année dernière aïant été abondante et l'argent devenant de plus en plus plus rare, il n'y a point aparence que les grains augmenteront beaucoup de prix, tandis qu'on peut espérer de faire une bonne récolte cette année, à moins que nous n'aïons des troupes en Alsace, ce qui n'est guère présumable. On ne s'aperçoit pas de l'achat des grains, que le Roi fait faire depuis 4 mois pour ses magasins, n'aïant pas augmenté de prix de 5s par sac du depuis.

Il en est de mème à l'égard des vins, quoique les Vignes aïent souffert par le grand froid de l'hyver dans plusieurs endroits en Alsace, surtout dans la plaine, les vins ne sont pas recherchés pour ce, on achète du vin comun semblable à celui de la sme seigrie savoir du vin de 1751, 1752 et 1754 à raison de 2lt 10s à 3lt de celui de 1753, qui est bon et par conséquent de garde, à 4lt 10s jusqu'à 5lt tout au plus la mesure; mais ce bon marché ne nous attire pas autant de Chalands que nous souhaitons, car un ou deux voituriers qui viennent par semaine pour chercher du vin dans cette ville ne sufisent point pour tirer d'embarras 2 ou 300 particuliers qui ont besoin d'argent, dont plusieurs sont si pressés, qu'ils vont quelquefois au devant des Voituriers pour les inviter à venir goûter leurs vins, en sorte que je ne peux pas espérer de vendre sitôt tant soit peu avantageusemt les vins de la sme seigrie dont j'ai encor actuellemt environ 4800 mesures dans les caves.

Toutes ces Circonstances jointes à la dificulté que je rencontre dans la misère du Peuple pour ètre païé de ceux qui doivent des arrérages à ma Recette me mettent en perpléxité au sujet du paiemt de M. de Voltaire, qui veut ètre satisfait au terme de l'échéance ainsi qu'il m'a fait dire par M. de Turckheim.

Pour en sortir je ne vois d'autres moïens que de lui vendre ce que je pourrai, car dans le besoin d'argent, il faut renoncer d'une certaine façon aux principes ordinaires de l'Economie et aux spéculations, ce qui me peine effectivemt.

Si M. de Turckheim ne faisoit pas l'avance de 2 quartiers qui vont échoir au 1r avril prochain pour une couple de Mois, la perte seroit encor plus considérable pour la sme seigrie qu'elle sera.

Je dois aussi avoir l'honneur d'informer très humblemt V. E. que led. sr de Turckeim m'a prévenu qu'il falloit païer indépendamt des intèrêts du retard un et demi p. 100 de provisions des somes qu'il feroit toucher à M. de Voltaire en Suisse.

Il sera facile à V. E. de juger par tout ceci des inconvéniens auxquels je suis exposé par le paiemt de la rente sur m. de Voltaire et que dans la situation où se trouvent les affaires de ma Recette il est impossible de choisir toujours la saison la plus propre pour la vente des denrées de S. A. S. Monseigr le Duc….

J'ai l'honneur d'être M. de V. E. Votre &c.

Flachsland