à Lyon 27 Novembre 1754
Monsieur,
Les bontés prévenantes dont vous m'avez honoré à Strasbourg et à Colmar, m'imposent le devoir de vous en faire mes très-humbles remerciments.
Je voudrais pouvoir venir en personne vous témoigner ma reconnaissance, et me recommander à vôtre souvenir.
Il ne m'est plus possible de rester auprès de la personne à la quelle je m'étais attaché. La façon singulière dont il faut vivre chez elle, plus forte que mon tempérament, la dureté dont on est continuellement traité, et la perte entière de la liberté m'avaient déterminé à me séparer à Colmar de cet étrange philosophe, et à le laisser partir pour Lyon. Ses extravagances m'avaient forcé à cette démarche, et je lui en parlai le jour même qu'il allait partir. Je ne fus nullement étonné de le voir consentir sans la moindre peine à cette séparation, et d'apprendre qu'il ne voulait point païer mes apointements du mois de novembre parce que le mois n'était pas fini. Il fit seulement le généreux éffort de me donner vingt-neuf livres à deux différentes reprises. Voilà, Monsieur quelle était la récompense de trois ans d'attachement, et voilà l'accomplissement des promesses qu'il m'avait toujours fait. J'ai perdu ma santé pour l'avoir servi avec trop de zèle, j'ai été emprisonné pour lui à Francfort, et il ne me reste que le regret de me trouver auprès d'un homme dont je croïais avoir gagné la bienveillance, et qui me fait sentir tout à coup que je ne dois point compter sur son amitié. Il ne m'eut pas plûtôt donné ces marques de son indifférence, qu'il parut avoir honte lui-même de sa façon d'agir, et il exigea que je partisse avec lui. Je l'ai suivi à Lyon, et il ne doit pas trouver mauvais qu'après une pareille avanture qui m'a ouvert les yeux, je fasse tous mes éfforts pour le quitter.
Je n'oublie point, Monsieur, que vous avez daigné me promettre de vouloir bien vous emploïer en ma faveur. J'ose vous réïtérer ici mes prières, et les assûrances de l'estime et du respect avec les quels je serai toute ma vie
Monsieur
Vôtre très-humble, et très-obéissant serviteur
Colini