à Colmar 17 octobre [1754]
Madame Denis vous avait déjà demandé vos ordres monseigneur avant que je reçusse votre lettre charmante.
Je suis dans la confiance que le plaisir donne de la force, j'auray sûrement celle de venir vous faire ma cour. L'oncle et la nièce se mettront en chemin dès que vous L'ordonerez et iront où vous leur donnerez rendez vous.
J'accepte d'ailleurs de grand cœur la proposition que vous me voulez bien faire de vous être encor attaché une quarantaine d'années, mais je vous donne mes quarante ans qui joints avec les vôtres feront quatrevingt. Vous en ferez un bien meilleur usage que moy chétif, et vous trouveriez le secret d'être encor très aimable au bout de ces quatrevingt ans. Franchement c'est bien peu de chose. On n'a pas plustôt vu de quoy il s'agit dans ce petit globe qu'il faut le quitter. C'est à ceux qui L'embellissent comme vous, et qui y jouent de beaux rôles d'y rester longtemps. Enfin monseigneur je vous apporteray ma figure malingre et ratatinée avec un cœur toujours neuf, toujours à vous, incapable de s'user comme le reste. J'ay pensé mourir il y a quelques jours, mais cela ne m'empèchera de rien. Le corps est un esclave qui doit obéir à L'âme, et surtout à une âme qui vous apartient. Mettez donc deux êtres qui vous sont tendrement attachez au fait de votre marche, et nous nous trouverons sur votre route à l'endroit que vous indiquerez, ville, village, grand chemin, il n'importe, pourvu que nous puissions avoir l'honneur de vous voir, tout nous est absolument égal. Ce qui ne l'est pas c'est d'être si longtemps sans vous faire sa cour. Donnez vos ordres aux deux personnes qui les recevront avec l'empressement le plus respectueux et le plus tendre.
V.