1754-05-03, de Voltaire [François Marie Arouet] à Georg Conrad Walther.

Je reçois vôtre Lettre du 22 avril, mon cher Monsieur; Je vous dirai d'abord, qu'il me semble que je vous avais prié d'intituler votre édition, Essay sur l'histoire universelle etc., c'est ainsi que j'intitule le troisième volume qui s'imprime, et que j'intitulerai le quatrième que vous pouriez imprimer bientôt vous-même, en cas que ma santé me permette d'aller à Gotha; après quoi vous pouriez donner une édition complette de cet ouvrage en réimprimant les deux premiers volumes de mon véritable manuscrit, conformément aux corrections nécessaires et aux additions que j'y ferais.

A l'égard de ce troisième volume que l'on imprime actuellement, je ne doute pas que vous ne soïez très content de Mr. Schœpflin, et que vous ne preniez ensemble les mesures convenables. Pour moi, mon seul partage est de travailler, et de vous obliger.

Il est très-vrai que plusieurs personnes m'ont écrit pour me prier d'aller passer quelque temps à Lausanne. On m'a écrit aussi de Genêve dans le même esprit; et les sieurs Bousquet et Philibert se sont offerts chacun de leur côté pour faire une édition de mes ouvrages. Mais je suis très éloigné de prendre sur cela aucune résolution. Il est triste que la derniére édition en sept volumes, que vous avez faite, soit si remplie de fautes, et qu'on y ait emploïé une ortographe si défectueuse. Vous savez ce que je vous en ai toujours dit; vous savez combien de fois je vous ai averti que cette édition était décriée: il sera bien difficile que vous en tiriez jamais aucun avantage. Il n'y aurait qu'un seul reméde; ce serait de substituer à chaque volume trois ou quatre feuilles, les quelles avec les changements et les nouveautés qu'on y insérerait, rendraient en même temps vôtre édition plus correcte et plus curieuse. Ce projet demanderait absolûment ma présence; j'entrerais moimême très-volontiers dans les frais qu'il vous en coûterait; et il n'y a rien que je ne fisse pour avoir enfin une édition dont je fusse content. Mais pour remplir ces vuës, il faudrait une autre santé que la mienne; je suis vieux et malade; et j'ai bien l'air de mourir avant d'être imprimé à ma fantaisie. Sur ce, mon cher ami, je vous embrasse de tout mon cœur.

Je vous prie mon cher ami d'envoyer un exemplaire des annales de L'empire à mr Roques pasteur à Hameln états d'Hanovre. Je suppose que Schœpfling y a mis les cartons nécessaires. Son édition n'est pas trop belle. Mais tant de vendus par vous, tant de tenus en compte par luy. Du moins c'est ainsi je croi que vous vous arrangez. Je souhaitte que vous y gagniez un peu l'un et l'autre. Je ne me mêle que de grifoner et je souhaitte du profit à mes libraires.

Je vous remercie tendrement de l'offre de votre campagne. Si j'avais de la santé et que vous voulussiez vous arranger avec Bretkof pour faire un jour une édition complette de tout, bien revue, bien corrigée, je pourais bien prendre le parti d'aller la diriger à Leipzik, ne connaissant de patrie que celle où l'on imprimerait bien mes ouvrages. Je vous embrasse bien tendrement.

V.