le 27 avril 1754
…Je profite du départ de m. A. pour vous envoyer un petit livret.
C'est un Abrégé d'histoire universelle jusqu'à nos jours. Il me sert comme d'indice pour ceux à qui j'enseigne cette science. Ce n'est, comme vous le verrez, qu'un léger crayon, mais je le crois fidèle et d'un ordre commode. Si vous lui donnez une petite place dans votre journal, vous ne la donnerez que comme un petit tableau qu'on peut parcourir pour se faire une idée générale & superficielle des divers états du monde, avant que de s'enfoncer plus avant dans cette étude. On peut aussi le lire ensuite pour ranger dans sa tête ce qu'on a lu.
Je ne m'étonne pas que la publication d'un Abrégé d'histoire universelle faite en Hollande sous le nom de mr de Voltaire, ait causé tant de chagrin à cet auteur. Neaulme n'a eu qu'un brouillon, où l'écrivain avait jeté ses premières idées encore peu châtiées, & le copiste y avait joint beaucoup de fautes. Philibert, un de nos libraires, ayant entrepris de contrefaire l'édition de Néaulme, dès que je le sus, je l'engageai à corriger quantité de fautes visibles, & à écrire à mr de Voltaire, pour lui communiquer son dessein. Cet illustre écrivain apprenant l'entreprise du libraire, m'écrivit en même temps à ce sujet, & se plaignit de l'édition furtive de Hollande. Quand il sut ensuite que j'avais fait corriger beaucoup de fautes, il m'en remercia, m'envoya aussi quelques corrections, & me pria de dresser un avertissement, pour qu'on ne lui imputât rien de trop dans cette édition. Je l'ai fait & il en a été content. Véritablement l'édition de Genève est sans comparaison plus correcte, & plus complète que l'autre; plus correcte, parce qu'on y a fait cent corrections importantes; & plus complète, parce que l'histoire des croisades y est d'un tiers plus étendue, & en même temps plus exacte.
Les Annales de l'empire, dont je vois à présent le premier tome, rentrent en grande partie dans le même plan, & absorbe des chapitres entiers de cet ouvrage, mais retouchés & châtiés. Cet auteur a une beauté de pinceau peu commune; & il prend l'histoire comme on la doit prendre, par tableaux des temps, des hommes, des affaires, des mœurs.