à Francfort ce 9 Juillet 1753
Monsieur,
Avant toute chose je demande mille pardons à Madame Denis, de ce que, sur son billet du 7 je ne me rendis point chez elle.
Au sortir de la maison de ville un des Conseillers me retint à dinér. Mes domestiques n'en eurent aucune connoissance. A 5 heures du soir je me fis annoncer, mais il n'y eut plus personne.
Le matin du même jour j'avois entendu la prélection des plaintes du nommé D… Tout rejetton, tout cassé qu'il est, le Conseil Intime ne laissa pas pour vôtre bien de souhaiter que la personne avec le pistolet n'eût point passé devant luy. Tout ce qui est à double sens embarasse ceux qui tâchent de tout leur cœur de vous être utiles. Un abandonné qui est sous la protection specielle du droit des gens ne laisse pas de causer des embarras. Et c'est apparemment pour guarder les 80 Louis d'or (dont je vous supplie de me faire savoir s'ils sont neufs ou vieux) qu'on tâcha de vous en faire naitre.
Je veux croire, Monsieur, que toute vôtre démarche fut ou innocente ou badine. Mais en ce dernier cas la simple raillerie peut entraîner ses inconvéniens. Ce n'est pas devant moy, que vous plaidez. C'est devant un Conseil où Cinq états ont droit d'entrer et où les Candidats choisis de ces Etats passent le ballotage pour savoir qui parviendra.
Passons sur ces dehors et venons à L'essentiel! Si je n'avois pas pour vous autant d'admiration et de vénération que j'en ay, rien ne m'empêcheroit ou de me taire tout à fait ou de vous cacher la science des faits qui vous manque. Le grand homme peut ignorer sans rougir, ce qui a été établi par quelques siècles d'hommes médiocres, c'est à dire d'homes qui gouvernent ordinairement les Républiques.
Il faut donc que j'aye L'honneur de vous dire, que pour parvenir à vôtre but, marqué par le mémoire dont vous m'envoyez copie, vous avez besoin d'un agent, d'un avocat. Si je n'étois pas moy même Conseiller régent de la ville je me tiendrois à honneur d'en faire les fonctions pour vous. Mais comme ces deux qualitez sont incompatibles il en faut choisir et du nombre des ordinaires. Je ne veux pas Monsieur que vous vous en rapportiez entièrement sur moy. Ecrivez en à Mr Varrentrapp. Nous vous en proposerons. Vous choisirez. Mais à tous ces gens, comme par tout, il faut une avance d'argent.
De plus, Monsieur, il faut laisser le soin à cet avocat de dresser vos requêtes selon le style. Le Parnasse seul admet le langage des esprits. La chaire, le palais et Esculape luy même n'admettent que le langage de la tradition.
Outre cela, Monsieur, on ne manquera pas, après que vous vous étes retiré, de vous demander caution bourgeoise, avant que vous puissiez demander satisfaction contre Schmidt qui est bourgeois. Luy et Freytag sont trop rusez pour ignorer ce moyen d'échapper aux poursuites. Il faut donc vous y préparer moyennant un Correspondant de Strasbourg ou de Paris ou de tel endroit qu'il vous plaira.
Je ne vous diray pas, Monsieur, sur le suffrage de qui il fut résolu samedi 7 de Juillet, que si Mrs Schmidt ne s'engageoit point pour les fraix et dommages, qui pourroient résulter d'un procès contre la ville, on vous feroit part de la réquisition donnée par les deux Conseillers accrédités.
Mais cependant, cela vous fera assez sentir, de quoy il est question.
Je tâcheray, Monsieur, que lorsque votre mémoire sera proposé demain devant le Conseil assemblé, je puissée vous sauver les sollemnités superflues et ce ne sera seurement pas ma faute si je n'y réussis point. En tout cas Monsieur je me tiendray à honneur qu'une personne de vôtre mérite s'addresse à moy pour échapper aux détours de la chicane. Je fais mes très humbles respects à Mad: Denis et je suis avec un entier dévouement,
Monsieur,
Votre très-humble et très obéissant serviteur