1753-05-09, de Jacques Emmanuel Roques de Maumont de La Rochefoucauld à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur

Vous venez de me faire un honneur, auquel je n'avais assurément pas lieu de m'attendre.
Rien ne pouvait m'en rendre digne, que le respect & l'attachement inviolable que j'ai pour vous. Permettez cependant monsieur, que je vous avoue avec cette sincérité dont je ne me départirai jamais, que si d'un côté, je sens combien vous m'avez honoré en me dédiant votre supplément, de l'autre, les relations que je soutiens avec la Beaumelle, ne me permettent pas d'éprouver cette joie que m'aurait fait votre ouvrage, s'il y était plus ménagé.

L'amitié que j'ai pour lui, ne me défend pas de convenir qu'il s'est oublié en vous insultant comme il l'a fait; mais il aurait raison de se plaindre de moi, si les coups que vous lui portez me faisaient plaisir.

Je ne puis cependant qu'approuver le parti que vous venez de prendre. Ayant été attaqué aux yeux de tout le public, il était naturel que vous répondissiez devant le même tribunal. Si je vous suis devenu un témoin nécessaire dans ce malheureux procès, soyez persuadé monsieur, que je serai toujours prêt à soutenir les droits de la vérité, contre les calomnies dont jusqu'à présent vous n'avez été que trop l'objet.

La Beaumelle ne tardera pas sans doute à répondre à votre défense. S'il me croit, il ne le fera qu'avec tous les égards qui vous sont dus; il respectera dans l'auteur du supplément au Siècle de Louis XIV celui de Rome sauvée. C'est un vrai malheur pour lui, qu'on ait, comme vous le dites monsieur, employé sa plume à écrire contre vous, & qu'on vous ait arraché par artifice un cœur, qui vous eût été entièrement dévoué….

J'espère que le roi, ce prince si éclairé, si pénétrant, si juste, si équitable, ouvrira bientôt les yeux sur la bonté de votre cause. Ami de la vérité comme il l'est, refuserait il de l'écouter, lorsqu'elle vient lui parler si fortement en votre faveur? La lettre que vous lui avez écrite, ne peut que le convaincre & le toucher. Elle est digne de ce monarque & de vous.

Je vous ai mille obligations monsieur, de la confiance que vous m'avez témoignée en me l'envoyant. A moins que vous ne m'en accordiez la permission, que je désire ardemment, je ne la communiquerai à personne. Il me semble que c'est une pièce qui défend mieux votre innocence, que toutes les apologies du monde. On ne parle pas au roi de Prusse, comme vous le faites monsieur, lorsqu'on se sent coupable. Dieu veuille vous rendre entièrement le cœur de ce prince, & vous faire retrouver auprès de lui des délices, qui vous portent à oublier tout le mal qu'on vous a causé &c….