1753-03-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Antoine Noé Polier de Bottens.

Monsieur,

J'aurais dû répondre plutôt à votre obligeante lettre.
Mais j'ay été très malade. Je le suis encore. J'ay obtenu avec peine la permission du Roy de Prusse d'aller prendre les eaux de Plombieres, et je ne sçais encor si mes forces me permettront d'aller jusques là. J'avais en effet eu la pensée monsieur de faire travailler dans votre patrie à une édition sous mes yeux. On me pressait d'en faire une à Londre. Mais l'air de l'Angleterre est fort mal sain pour moy. C'est un pays que j'aime et que je ne peux habiter. On m'avait parlé de Lauzanne comme d'une retraite très agréable dans un air fort sain. Il y a une très bonne imprimerie. Mais ce qui peut achever de me déterminer c'est la bonté obligeante monsieur avec la quelle vous avez bien voulu me prévenir. Je tâcherai d'arranger mes marches et mes affaires de façon que je puisse exécuter ce dessein. J'avais dans cette vue demandé la protection du conseil souverain de Berne. Votre lettre a baucoup augmenté L'envie de me retirer à Lauzanne. Le malheur est que j'apartiens à la fois à deux rois. Le Roy de France m'a prêté au Roy de Prusse. Je ne veux manquer ny à l'un ny à l'autre. Tout peut s'arranger. Ma mauvaise santé exige absolument une retraitte et une espèce de solitude. La société d'un homme de votre mérite me rendrait cette solitude bien douce. Je veux encor me flatter de cette espérance.