à Berlin, 13 janvier 1753
J'ai renvoyé au Salomon du nord pour ses étrennes, les grelots et la marotte qu'il m'avait donnés, et que vous m'avez tant reprochés.
Je lui ai écrit une lettre très respectueuse, et je lui ai demandé mon congé. Savez vous ce qu'il a fait? Il m'a envoyé son grand factotum de Federsdoff, qui m'a rapporté mes brimborions. Il m'a écrit qu'il aimait mieux vivre avec moi, qu'avec Maupertuis. Ce qui est bien certain, c'est que je ne veux vivre ni avec l'un ni avec l'autre. Je sais qu'il est difficile de sortir d'ici, mais il y a encore des hippogriffes pour s'échapper de chez madame Alcine. Je veux partir absolument, c'est tout ce que je peux vous dire, ma chère enfant. Il y a trois ans bientôt que je le dis, et que je devrais l'avoir fait. J'ai déclaré à Federsdoff que ma santé ne me permettait pas plus longtemps un climat si dangereux. Adieu, faites du paquet ci-joint l'usage que votre amitié et votre prudence vous dicteront.
Le pauvre du Bordier doit être à présent chez moi à Paris. Sa destinée est bien cruelle. Il y a des gens devant qui on n'ose pas se dire malheureux. Cet homme est demandé à Berlin; il y arrive en poste. Il embarque sur un vaisseau sa femme, son fils unique et sa fortune. Le vaisseau périt à la rade de Hambourg. Du Bordier se trouve à Berlin sans ressource. On se sert de ses dessins, on ne l'emploie point, et on le renvoie sans même lui donner l'aumône. Logez le, nourrissez le. Qu'il raccommode mon cabinet de physique. Vous verrez dans le paquet qu'il vous apporte des choses qui font frémir. Faites comme moi, armez vous de constance.