1753-01-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Frederick II, king of Prussia.

Sire,

Ce n'est sans doute que dans la crainte de ne pouvoir plus me montrer devant votre majesté que j'ay remis à vos pieds des bienfaits qui n'étaient pas les liens dont j'étais attaché à votre personne.
Vous devez juger de ma situation affreuse, de celle de toutte ma famille. Il ne me restait qu'à m'aller cacher pour jamais et déplorer mon malheur en silence. Monsieur Federsdoff qui vient me consoler dans ma disgrâce me fait espérer que votre majesté daignerait écouter envers moy la bonté de son caractère, et qu'elle pourait réparer par sa bienveillance (s'il est possible) l'opprobre dont elle m'a comblé. Il est bien sûr que le malheur de vous avoir déplu n'est pas le moindre que j'éprouve. Mais comment paraître? comment vivre? Je n'en sçais rien. Je devrais être mort de douleur. Dans cet état horrible, c'est à votre humanité à avoir pitié de moy. Que voulez vous que je devienne et que je fasse? Je n'en sçais rien. Je sçai seulement que vous m'avez attaché à vous depuis seize années. Ordonnez d'une vie que je vous ai consacrée et dont vous avez rendu la fin si amère. Vous êtes bon, vous êtes indulgent, je suis le plus malheureux homme qui soit dans vos états, ordonnez de mon sort.

V.