Votre lettre Monsieur m'a causé toute la joie que naturellement elle devoit produire sur une femme, qui fait un cas extraordinaire de tout ce qui vient de vous; vous semblez me joindre à un ami, que des procédés équivoques ont rendu un être fort indifférent pour moy.
Depuis près de trois ans j'ay séparé l'auteur aimable d'avec l'homme qui mérite le titre, l'esprit supérieur d'avec le caractère solide, l'homme enfin qui montre des vertus d'avec celui qui les a réellement. Ma réputation d'auteur et l'autre demendoient que je sacrifiasse au préjugé une société pleine d'agréments, et l'amitié outragée m'a fait une loi de ce sacrifice; je ne me chargeray donc point Monsieur de porter vos Compliments à cet homme célèbre, car je ne le vois point.
Vous semblez m'avertir des chagrins attachez aux talens supérieurs; que je suis loin Monsieur d'exciter l'envie à me nuire, j'ay tout au plus celle de mon sexe à éssuier, et vous savez qu'elle est sans concéquence; peut être viendra t'il un tems où les femmes me laisseront ce qui m'est dû, et où les hommes ne m'offriront plus rien. J'ay pris mon parti de l'attendre sans regrets.
Vous vous plaignez d'une santé foible; l'air de Paris vous seroit sans doutte salutaire? que je s'aurois bon gré aux médecins de vous le Conseillér, j'aurois enfin la douce satisfaction d'entendre celui qui plaît tant à mon esprit, de mériter peut être son estime, et de me faire un honneur tout particulier de sa société.
J'ay quitté enfin les matières métaficiques pour le théâtre, oui Monsieur, j'ay eut la témérité, d'entreprendre une Comédie. Quel en sera le succès? je l'attans, non pas avec fermeté (car la chûte m'effraye) mais au moins avec l'espérance, qui n'abbandonne jamais un auteur. Peut être les hommes auront ils de l'indulgence pour une femme qui est encore dans l'âge d'en attendre d'eux. Mes amis me flatent sans doute; que le public n'est il de leur avis? ou que n'ay je une Eteincelle de votre génie, je marcherois en assurence dans une carrière pénible, mais glorieuse que vous avez parcourûe si rapidement avec tant de progrès. Je fini cette lettre par les assurences de la vénération la plus parfaite avec la quelle j'ay l'honneur d'être Monsieur,
votre très humble et très obéissante servente
Depuisieux
de Paris Ce 15 février 1752