Versailles 13 février 1752
M. Fouquet est mort en prison, mon cher confrère, comme je l'avois écrit, d'après tous les mémoires du tems, et comme me l'a confirmé m. son petitfils.
Les mémoires de m. de Dangeau, ainsi que je vous l'ai déjà marqué, sont de lui et non pas de son valet de chambre. Indépendamment de ceux qui lui apartiennent aujourd'hui, on y trouve des faits qui ne permettent pas d'en doutter. Son secrétaire, par exemple, a soin d'avertir que c'est lui qui écrit dans l'absence de son maittre ou dans des tems de maladie: lorsque m. de Dangeau reprend la plume, il confirme ce qu'a dit son secrétaire, en disant pourquoi il avoit cessé d'écrire. Cet ouvrage d'ailleurs, que l'on ne lit pas et que l'on a raison de ne pas lire pour le stile, qui est rempli de nouvelles oisives et peu intéressantes de la cour, n'en contient pas moins des faits que l'on ne trouve que là, ou qui servent à en confirmer d'autres. Si vous l'aviés lû, ou si vous y aviés eu un peu plus de foi, vous n'auriés pas fait dire au Roi à son souper, en cittant m. de Dangeau, que la Reine d'Espagne avoit été empoisonnée (ce que m. de Dangeau n'a jamais dit). Vous n'auriés pas écrit que le Dauphin fut porté dans le même char à st Denis avec ses père et mère; ils partirent de Versailles le 23 février pour aller à st Denis, et le dauphin ne mourut que le 8 mars: conclués. Vous y auriés vû que le grand Condé mourut à Fontainebleau &c. Je ne me souviens pas d'avoir jamais lû les mercures de Viley pour mon plaisir, mais je me souviens d'y avoir trouvé des dattes qui n'étoient point ailleurs. Quand je voudrai lire le siècle de Louis XIV, j'aurai recours à vous, mais quand je voudrai savoir combien il y avoit de grades du corps qui escortoient le convoi de monseigneur, en quelle couleur, noir ou violet, le Roi a pris le deüil &c. je lirai les gasettes ou le mercure, et les mémoires de Dangeau sont le mercure de la cour, où de fois à autre l'on trouve des faits curieux, tels que le premier testament de Charles 11, Roi d'Espagne, En voilà trop sur cet article.
Celui de m. de Turennes est un peu adouci. Vous en faittes encor un homme qui sacrifie sa Religion à son ambition; à la bonne heure, cependant il avoit étté fait mal général dès 1660, et il devoit assés connoittre la cour pour savoir que le Roi en 1668 n'avoit plus d'envie de faire de connestable, et qu'il n'étoit plus à la mode dans ce moment là, puisque le grand Condé lui fut préféré par m. de Louvois, pour faire la conqueste de la Franche-Comté. Ainsi donc cherchés lui d'autres motifs humains que ceux de l'ambition, puisque vous ne voulés pas qu'il se soit converti de bonne foi, ou plustost croyés, monsieur, qu'il y avoit longtems qu'il y pensoit et, comme je l'ai dit, qu'il n'étoit retenu que par la considération de made sa femme. Voilà la tradition, voilà ce que j'ai entendu dire à m. le duc du Maine, à m. le comte de Marsan, à m. le mal de Villeroi, au vieux Lally, à made la male de Noailles, qui fourmilloit d'anecdotes que j'ai eu grand soin de recueillir et qu'elle avoit aussi présentes que le premier jour, à Valincourt &c.
Voilà àpeuprès, mon cher confrère, ce qui me restoit à vous observer, et je viens à vostre lettre du 1er février. Les additions que vous m'envoyés sont excellentes, j'en ai tiré copie pour en faire usage, et j'ai envoyé l'original à made Denis. Croyés qu'indépendamment de l'amitié que j'ai pour vous, l'excellence de l'ouvrage me fait désirer que nous l'adoptions; je vous l'ai déjà dit et je ne me lasse point de vous le répetter. Mais il entre tant de considérations diverses dans les testes de ceux qui ont droit de juger ou plustost de décider, que l'on est tout étonné de leur entendre faire des objections qui n'ont de poids que l'autorité qu'ils ont: d'ailleurs la perte que nous venons de faire de madame, qui emporte le regret général de la nation, suspend jusqu'aux affaires les plus sérieuses. Sitost que je croirai pouvoir étre écoutté, j'agirai comme je le dois, et vous aurés de mes nouvelles. Vostre santé m'inquiette beaucoup, mais j'y entrevois un grand sujet d'espérance pour nous, c'est que nous sommes vostre plus sûr reméde. Débarqués de la mer où vous vous étes abandonné, et sitost que vous aurés touché nostre terre vous y trouverés la santé et nos vœux qui vous attendent: c'est la fortune que voyageur trouve à sa porte. J'avois espéré un Exemplaire de l'histoire de Brandebourg et l'on m'avoit assuré que le Roi de Prusse se souviendroit de moi: je sais bien que c'est un mauvais moyen de l'obtenir que le désir que j'ai de vostre retour. Adieu, mon cher confrère, je vous embrasse de tout mon coeur.
C. H.