1751-10-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon cher amy je vous suis bien obligé de vos petites notes.
Je ne puis concevoir comment le mot de dernière fille a pu échapper, puisque je dis précisément le contraire page 49, tome 2. Je crois que vous n'avez pas cette page 49. Je vous supplie d'ôter seulement ce mot de dernière en attendant que je mette un carton. Figurez vous qu'on imprime à huit lieues de moy et qu'il se glisse bien des fautes. Mr de Caumartin, j'entends le vieux conseiller d'état, m'assura que le roy avait assisté deux fois au conseil des parties. C'est une anecdote qu'il faudrait aprofondir et dont vous êtes à portée de vous instruire.

Croyez vous qu'il faille absolument ôter de ce char le duc de Bretagne? J'en suis fâché, cela était touchant, cependant il faudra bien s'y résoudre.

Je n'écriray point cet ordinaire à ma nièce. J'ay un peu de fièvre, et je n'écris qu'avec peine. Je vous prie de luy dire qu'elle ne montre qu'à peu de personnes les feuilles imprimées que je luy ay envoyées, mais que surtout elle raye ce mot de dernière.

Je suis persuadé qu'elle réussira dans la conspiration de Rome comme dans celle de la Mecque. Tout le monde dit que Dubois est devenu un grand acteur. Voylà une bonne aubaine pour notre Rome que je recommande toujours à vos soins paternels.

Je vous suplieray d'examiner un peu scrupuleusement le premier tome de Louis 14 que vous aurez probablement bientôt. Je mettray icy tant de cartons qu'on voudra. Vous savez que je ne plains pas ma peine, et que j'aime à me corriger. Adieu mon cher ange, dites bien à made Denis combien elle est adorable. J'ay été tenté de partir sur la jument Borak de Mahomet pour venir L'embrasser, mais je n'ay pas assez de santé pour voiager à présent. Je suis tou malingre, et dulces moriens reminiscitur Argos. Adieu, mes respects aux anges. Vous êtes mon Argos.