aux Delices 2 février [1759]
Comment va votre santé madame? comment vous trouvez vous du plus doux des hivers? n'étes vous pas étonnée qu'on ne prenne pas en Allemagne un si beau temps pour s'égorger? connaissez vous mylord Maréchal, ancien conjuré anglais, ancien réfugié en Espagne, aujourduy gouverneur ad honores de la petite principauté de Neufchatel?
Il passa hier par Geneve pour aller de la part du roy son maitre prussien allumer s'il le peut, quelques flambaux de la discorde en Italie. S'il ne sert que suivant l'argent que son maitre luy donne, il fera une besogne bien médiocre. Les nouvelistes du pays que j'habite qui ont des correspondances dans toutte l'Europe, disent toujours que la conspiration du Portugal n'est que la suitte des amours du roy et de la jalousie d'un homme du vieux temps qui a trouvé mauvais d'être cocu. Vous voyez mesdames que depuis Helene vous êtes la cause des plus grands événements. Mais les jésuittes vous disputent votre gloire. Ils se sont mélez de cette affaire qui ne les regardait pas! de quoy s'avisent ils d'entrer dans la vangeance de la mort d'une femme? Ils disent pour raison qu'ils étaient depuis longtemps en possession d'assassiner les rois, et qu'ils n'ont pas voulu laisser perdre leurs privilèges. La mort prochaine du roy d'Espagne, les attentats contre les têtes couronnées, les amis du roy de Suede mourants par la main du bourau, l'Allemagne nageant dans le sang forment un tableau horrible. Cependant on ne songe à rien de tout cela dans Paris, on y est toujours aussi fou qu'auparavant, toujours se plaignant, toujours riant, toujours criant misère et plongé dans le luxe; et moy madame [tou]jours vous aimant avec le plus [ten]d[r]e respect.
V.