Paris le 6 août 1751

Permettez moi, monsieur et très honoré confrère, de profiter du courrier qu'on vous envoie, pour me renouveler dans votre souvenir.
Je m'y suis entretenu en vous lisant et relisant, comme je me console de votre absence dans l'espérance qu'elle nous vaudra bientôt le siècle de Louis 14^e. Ah! plût à dieu que vous eussiez eu de vos ouvrages l'idée qu'ils inspirent! vous vous seriez vu si élevé au dessus de tous ceux qui se piquent d'esprit et de littérature, que vous n'auriez regardé les plus remarquables de vos envieux que comme des insectes, dont la piqûre et le bourdonnement ne méritent pas votre attention, vous n'auriez pas cherché contre eux un asile en Prusse, car je ne vous soupçonne pas d'être assez peu philosophe, pour préférer le dangereux honneur de vivre avec des rois, toujours rois, quoiqu'ils en disent, et de lutter avec des courtisans envieux et avides, au plaisir de vivre, dans ce que vous appeliez votre petit ménage; quand j'ai eu le bonheur d'y souper, je puis vous assurer que de tout ce qui embellit, égaie et assaisonne vos soupers royaux je ne regrette que vous seul. Madame Denis, qui vous aime comme vous méritez de l'être, qui ne parle que de vous, et qui en plaît davantage, qui ne vit, ne respire, ne pense que pour vous, me fait espérer que vous viendrez faire un tour ici dans le mois de 9^bre. Je ne me flatte pas, perdu dans la foule de ceux qui pensent comme elle, de mettre un seul grain dans la balance pour vous déterminer à ce voyage; je me contente de vous assurer, qu'il ne tiendra pas du moins à moi d'en profiter. Toute mon inquiétude est que plus occupé de vivre dans les siècles à venir que dans celui-ci, vous ne hâtiez par une trop grande application le jour où tout le monde s'accordera à vous rendre justice. Pour moi je suis si lâche que je ne donnerais pas mon lendemain pour tous les siècles de gloire dont Homère a joui depuis sa mort jusqu'à ce jour. Puissent les vôtres enfin couler, non plus glorieusement, mais plus heureusement, qu'ils n'ont fait jusqu'ici, et moi même être souvent à portée d'applaudir autant à votre bonheur qu'à vos ouvrages, étant avec ce respectueux dévouement qui est dû à la supériorité du mérite, monsieur et cher confrère,

Votre &c.