1751-07-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charlotte Sophia van Aldenburg, countess of Bentinck.

Vous avez très bien fait madame de ne point venir; mais en même temps, je suis bien fâché d'être privé de l'honneur de vous voir jusqu'au vingt quatre du mois.
Soyez tranquile, ne vous effarouchez de rien, laissez dire, ne dites mot, et comptez que vous serez servie autant que vous pouvez l'être. Je n'aime point à donner de paroles positives. Je crois que cela n'apartient qu'au destin; mais j'ose vous répondre que toutes les probabilitez sont en votre faveur. Je me trompe baucoup, ou L'on n'aime aucune de vos parties adverses et on sera bien aise de les mortifier touttes en vous faisant avoir ce qu'elles ne veulent pas vous donner. Vous avez baucoup gagné en gagnant du temps. Vous avez adouci par votre résignation ceux qui avoient inspiré bien de l'humeur contre vous. Les sentiments de bonne volonté se sont affermis icy de jour en jour. Encor une fois vous avez beau jeu, et je suis sûr que vous jouerez bien.

Je ne saurais trop vous recommander le plus profond secret. J'auray l'honneur de vous parler plus en détail à mon retour. Jusques là je ne vois pas que vous ayez autre chose à faire qu'à vous réjouir, si vous pouvez. Il y a peu de plaisirs dans ce monde après ce que nous avons perdu tout deux. Le plus grand de mes plaisirs est de retrouver un cœur comme le vôtre, de recevoir quelques uns de vos ordres et de vous donner des preuves de l'attachement unique que j'ay pour vous; je vous jure que j'attends avec bien de L'impatience le moment de vous rendre mes respects. Vous avez beau dire que vous ne m'aimez point. Je vous diray hardiment que je prends la liberté de vous aimer de tout mon cœur.

V.