à Potsdam ce 3 septembre 1750
Monsieur,
Vous avez eü de l'amitié pour moy, et j'ose si bien me flatter de sa continuation, que vous avez été sans le savoir un des motifs qui m'ont déterminé à me transplanter à mon âge, à quitter ma famille, mes amis, ma cour où j'étois comblé de faveurs pour venir achever ma vie auprès d'un héros philosofe.
Ny les honneurs ny la fortune ne sont assurément entrez pour rien dans les raisons de ma transmigration, mais l'espérance de vous revoir bientôt icy s'est jointe aux charmes du roy, qui m'ont tourné la tête. Je luy ay résisté seize ans pour une amie intime qui l'emportoit dans mon cœur, sur tous les rois. Je l'ay vu mourir de la manière la plus funeste et j'ay cru après un an de douleur et de combats ne pouvoir trouver de consolation qu'auprès du premier homme de l'univers. Je retourne à Paris dans peu de semaines pour arranger mes affaires, et prendre congé de ma première patrie, pour venir m'établir dans la seconde et la plus chère. Monsieur le comte de Podewils votre oncle m'a promis qu'il voudroit bien vous dire à quel point j'ay imaginé que vous me rendriez cette nouvelle patrie prétieuse. Je vous réponds bien monsieur que vous me ferez hâter mon retour icy. Le roy et vous vous exercerez sur moy une attraction plus forte que M. de Maupertuis n'en peut jamais découvrir entre tous les globes de ce monde. J'ay le bonheur d'aprocher icy tous les jours de Federic le grand, et je l'ay trouvé d'autant plus grand que l'homme (je dis l'homme simple) m'a paru en luy au dessus du héros et du Roy. Monsieur Darget qui jouit du même bonheur, qui pense comme moy, et qui vous est tendrement attaché me charge de présenter ses respects à votre excellence. Je luy porte envie. Il reste icy, et vous verra bientôt, et moy je vais à trois cent lieues faire mon paquet. Vende omnia quœ habes et sequere me. Permettez moy d'assurer de mon respect madame la comtesse de Podewils, et soyez persuadé que jamais votre excellence n'aura un serviteur plus dévoué et plus fidèle que
Voltaire