Le 26 avril 1741 à Cideville
Oüy mon ami, il faut gagner Paris, il faut Laisser Les voyages, les projets et les soins aux fous et aux Rois. Il faut que mde La marquise achève d'emporter cent mille écus qui luy siéront si bien dans son bel hostel, il faut L'adorer et L'écouter Le reste de sa vie. Que Le Roy de Prusse prenne ou rende La Silesie, que nous importe pourvu que l'honeste et pauvre La Noüe ne soit point sa dupe. Il sait à son dam ce que c'est que de vouloir divertir un Roy.
Car un Loup doit toujours garder son caractère comme un mouton garde le sien. Vostre femme métamorphosée en chate m'en fait souvenir et m'a beaucoup diverti.
Je n'ay point eu cet anti-Machiavel si peu mis en pratique, mais j'ay un grand désir de Lire et d'admirer Mahomet Ier. On m'assure à Roüen qu'il y a des voitures de villes en villes jusqu'icy. Il nous vient des marchandises de Bruxelles. Pourquoy ne nous en arriveroit'il pas des bijoux? Examinés cependant, car je ne voudrois pas que vous risquassiés une chose si prétieuse.
Je fais Le plus sincère compliment à La Divine Emilie sur l'avantage qu'elle vient de remporter. C'est le présage d'une victoire complète. Puisse t'elle estre aussi prompte que je le souhaite ! Je chanteray son triomphe de toutes mes forces; je suis bien à retour avec elle, je meurs de honte quand je pense que pour son admirable Livre je ne luy ay rendu que quelques guenilles de vers.
Je n'ay plus icy de maison et je ne chercherai qu'un taudis pour loger de vieux meubles. Je compte passer L'hiver à Paris, et essayer si je puis encore estre transplanté.
Adieu mon cher ami, ne m'ostés pas l'espérance que nous finirons nostre vie ensemble parmi les vers, Les tableaux, et les jolies femmes. Il ne faut que de l'esprit et des yeux pour tout cela. Personne comme vous le savés ne vous honore et ne vous aime plus que C.