1749-01-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Louise Denis.

Votre lettre du 13 mon cher cœur est de la plus grande philosophe du monde.
Vous méprisez des avantages que je ne saurois vous conseiller de mépriser. C'est à vous à choisir entre les préjugez du monde et votre sagesse, c'est à vous à vous décider. Pour moy je ne peux que vous aimer, vous admirer et attendre votre décision. Tout ce que je sçai c'est que nous ne délogeons point et que mon seul bonheur seroit de loger avec vous.

Que voulez vous dire avec les petites fantaisies, etc. que vous prétendez qui gouvernent ma vie? Ne vous ai-je pas ouvert mon cœur, ne savez vous pas que j'ay cru devoir au public de ne point faire un éclat qu'il tourneroit en ridicule? que j'ay cru devoir marcher toujours sur la même ligne, respecter une liaison de vingt années, et trouver même dans la cour de Lorraine, et dans la solitude où je suis àprésent un abry contre les persécutions dont je suis continuellement menacé? Je suis très instruit que si j'avois été à Paris ce mois cy on m'auroit mis très mal dans l'esprit de madede P., et dans celuy du roy. On m'a fait d'étranges niches. Je vous en diray de bonnes à mon retour. Il y a encor bien loin d'icy à cet heureux moment. Ce ne sera que pour la fin du mois. Il est nécessaire que j'arrive tard, et que je ne donne aucun prétexte à ceux qui voudroient me faire parler. Je continueray assurément mon épître puisque le commencement vous plait. Je rapetasse actuellement Semiramis dont j'espère que vous serez plus contente que des premières leçons. Vous la lirez et vous me ferez lire la femme à la mode. Il n'y a que mon rêve qui puisse me faire autant de plaisir que vos ouvrages. Mais que je voudrois bien venir vite veiller avec vous comme je rêve! Hélas, en sui-je digne? Je compte sur vos bontez aumoins.

Ma chère enfant vous devez par ma dernière savoir ce que je pense sur l'affaire à proposer à M. de Richelieu. Ce que j'ay apris depuis me fait croire qu'elle réussira. Nous en raisonerons le trente janvier. Eh bien Catilina va toujours, on en dit bien du mal. Mais le plus grand mal est de courir à une mauvaise pièce. Vibaccio teneramente, e l'anima mia baccia anche la vostra.