1748-10-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jeanne Grâce Bosc Du Bouchet, comtesse d'Argental.

J'ay senti, madame mon ange, ce que c'est que la jalousie.
J'ay trouvé un monsieur de Verdun qui m'a dit du premier bond, j'ay reçu une lettre de Madame Dargental. C'est donc un heureux homme que ce monsieur de Verdun. Eh bien madame si je n'ay pas eu le bonheur dont il se vante j'ay la consolation de vous écrire. Je vous soupçonne d'être à Paris. Mr Dargental est dit il à Guiscard. Mais où est Guiscard? Voicy madame une lettre pour cet ange là, et je vous soumets tout ce que je luy écris. Je ne sçais pas plus où adresser ma lettre pour l'abbé de Berni. Permettez que je la mette dans votre paquet. Je ne m'attendois pas à ce nouvau trait de la calomnie, mais qui plume a, guerre a. Le loyer de nous autres pauvres diables de victimes publiques c'est d'être honnis et persécutez. Je pardonne à l'envie, elle a raison de me croire heureux, elle sait l'amitié dont vous m'honorez. Si je m'avise de donner jamais une pièce qui ait du succez, je seray infailliblement lapidé.

On s'attend icy à une prompte publication de la paix. Paris sera plus méchant et plus frivole que jamais. Si deux ou trois personnes ne soutenoient le bon goust nous dégringolerions dans la barbarie. Songez à votre santé madame, je veux vous retrouver avec un appétit désordonné. Je compte vous faire ma cour à noel. C'est bien tard, mon cœur me le dit. Je vous suplie de détruire dans l'esprit de M. l'abbé de Berny la ridicule calomnie que je trouve encor plus désagréable que ridicule. C'est l'homme du monde dont je croi mériter le mieux l'amitié, et il s'en faut bien que j'aye rien à me reprocher sur son compte. Permettez moy en vous renouvelant mes plus tendres respects de les présenter à mr de Pondeveile et à M. de Choiseuil. Madame du Chastelet qui joue ou l'opéra ou la comédie ou la comète vous fait mille compliments.