1748-07-27, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Baptiste Simon Sauvé.

J'eus l'honneur monsieur en partant de Paris, de vous faire tenir le changement qui vous parut convenable dans le rôle d'Assur.
Je me flatte que vous avez bien voulu faire porter ce changement sur le rôle et sur la pièce. Permettez moy de vous demander si vous n'aimeriez pas mieux

Quand sa puissante main la ferma sous mes pas;

que

Quand son adroite main.

Il me semble que ce terme d'adroitte n'est pas assez noble et sent la comédie. Je vous prie d'y avoir égard, si vous êtes de mon avis.

J'aprends que m. le duc Daumont nous fait donner une décoration digne des bontez dont il honore les arts et digne de vos talents. Cette distinction, que les acteurs méritent me rend encor plus timide et plus défiant sur mon ouvrage. Il seroit bien triste de faire dire que Le Roy a placé sa magnificence et ses bontez sur un ouvrage qui ne les méritoit pas. C'est à vous monsieur et à vos camarades de réparer par votre art les défauts du mien. Vous êtes un grand juge de l'un et de l'autre. Il y a pourtant un point sur le quel j'aurois quelques représentations à vous faire. C'est sur L'idée où vous semblez être que le tragique doit être déclamé un peu uniment. Il y a baucoup de cas où l'on doit en effet bannir toutte pompe, et tout tragique. Mais je crois que dans les pièces de la nature de celle cy, la plus haute déclamation est la plus convenable. Cette tragédie tient un peu de L'épique, et je souhaitte qu'on trouve que je n'ay point violé cette règle:

Nec deus intersit nisi dignus vindice nodus.

Le cothurne est icy chaussé un peu plus haut que dans les intrigues d'amour, et je pense que le ton de la simplicité ne convient point à la pièce. C'est une réflexion que je soumets à vos lumières comme je me repose du rôle uniquement sur vos talents. Je vous prie de croire que j'ay l'honneur d'être avec l'estime la plus sincère, monsieur,

Votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire