1747-01-15, de Voltaire [François Marie Arouet] à conte Francesco Algarotti.

Mon cher et illustre amy, une maladie cronique qui me fait toujours languir, et un procez violent qui me fait frémir, ont tenu trop longtemps dans le silence les sentiments d'un cœur qui vous admire et qui vous aime.
J'avois commencé une épitre en vers, adressée au sublime, au judicieux, au tendre Algaroti, à l'homme universel, à l'honneur de l'Italie; mais comment finir un épitre quand on est entouré d'apoticaires et d'avocats? J'ay oublié je crois mon italien. J'en sçais assez cependant pour relire l'épitre charmante dont vous m'avez honoré. Je ne prétends pas l'égaler, mais je veux L'imiter. Je veux au moins vous marquer publiquement ma reconnaissance. Te sequor Ausoniæ gentis decus. Que je vous sai bon gré encor une fois d'acoutumer les muses italiennes à la solidité de la philosofie et de faire taire ce peuple de cigales qui ne répètent dans de vains sonnets que des paroles encor plus vaines. Vous serez le poète de la raison, comme celuy des grâces; on voudra vous imiter, vous changerez le goust de votre nation. Dux regit examen. Ce sera à Vienne et à Dresde que L'élégant et l'aimable Metastasio, et le comte Argoloti plus solide, plus universel, et aussi aimable auront réformé la poésie italienne. Mais si mr Zeno vous en croit, vous aurez rendu de plus grands services à votre patrie. Puisse Venise écouter les conseils d'un citoyen tel que vous, a cui doleva

vostra patria mirar mezza le chiome
tenta nel'ozio ed in angusta gonna,
quella che un di sorgeva emula a Tiro
di Cartago rivale ampio del mondo
emporio, e de'gangetici tesori
dispensatrice a L'infingarda Europa.

Quels beaux vers! mais quel reproches! c'est ainsi qu'il faut parler à sa patrie, et non comme l'abbé de st Pierre.

En attendant que vous fassiez du bien à votre patrie, vous voulez en faire à votre amy. Vous voulez que ses ouvrages soient bien imprimez. Non seulement j'accepte la proposition, mais je vous en remercie tendrement, et je vous suplie d'en avancer le succez. Je seray honoré que la même presse travaille à vos œuvres et aux miennes. Permettez que je joigne icy un petit mémoire que je vous prie de donner au libraire.

Vous avez joui du commerce charmant de Mr le duc de Richelieu. Vous avez été guédé de fêtes. Vous nous envoyez une princesse qui dit on aime la France et les beaux arts, qui est née avec de L'esprit, et qui méritoit de vous avoir toujours auprès d'elle. Aprésent que les jours tumultueux des fêtes sont passez vous daignerez donc protéger mon édition. Pour moy je vais relire, il savio e gentile neutonismo, il delitioso congresso di Citera, vostri leggiadri e sodi versi […] diro molto egli opro col senno e senza rima. Enfin je vais raprendre l'italien dans vos charmants ouvrages. Adieu homme de tous les pays et de tous les temps, madame du Chastelet, madame de la Popliniere, mer Daiguillon, mr de Maurepas sentent le prix de vos éloges, et vous remercient. Mr le comte d'Argenson n'a pas encor vu l'endroit qui le regarde. Ma maladie et mon procez m'on empéché d'aller à Versailles. Que n'ai je pu aller à Dresde?

Adio carissimo amico, vi ringrazio, vi amero sempre, i'll be for ever yr sincere admirer

Voltaire

Oserais-je vous supplier de présenter mes respects dans l'occasion à M. le comte de Brull et à M. le marquis des Issarts?