à Ferney 25 octb [1761]
Votre marseillois Monsieur est très aimable, et monsieur Guastaldo encor plus, mais il me traduit d'un stile si facile, si naturel, si élégant, qu'on croira quelque jour que c'est luy qui a fait Alzire, et que c'est moi qui suis son traducteur.
Je le remercie tant que je peux. Je ne prends pas la liberté d'envoyer la lettre à votre excellence, par ce que je prends celle d'y parler de vous, et qu'après tout il n'est pas honnête de dire des véritez en face. Est il vray que la belle, la vertueuse Hirmennestre repassera les montagnes au printemps? Vous souviendrez vous de Baucis et de Philémon? Notre cabanne ne s'est pas encor changée en temple, mais elle l'est en théâtre. Nous en avons un à Ferney digne de madame l'ambassadrice. Elle aura aussi le plaisir d'entendre la messe dans une église toutte neuve que je viens de faire bâtir exprès pour vous. Le dernier acte de ministre des affaires étrangères, qu'a fait monsieur le duc de Choiseuil, a été de m'envoyer des reliques de la part. Ainsi vous aurez chez moy le profane et le sacré à choisir, et nous vous donnerons de plus une pièce nouvelle très édifiante.
Si je n'étais pas guédé de vers, je crois que j'en ferais pour mr de l'Audon. La prise de Shwednits me paraît la plus belle action de toutte la guerre.
Celle qu'on fait aux jésuittes me paraît vive. Il me vint ces jours passez un jésuitte portuguais qui me dit qu'il sortait de l'Italie par ce qu'ils y étaient trop mal venus. Il me demanda de L'employ dans ma maison. Cela me fit souvenir de l'aumônier Poussatin. Je luy proposai d'être laquais, il accepta; et sans madame Denis qui n'en voulut point il aurait eu l'honneur de vous servir à boire à votre passage. C'est dommage que cette affaire soit manquée. Je vous présente mon très tendre respect.
V.