[?July 1746]
Puisque vous travaillez monsieur à une bibliothèque poitevine, et que j'ay, dit on, l'honneur de sortir d'une petite famille du Poitou, puisque me voylà tout poitevin, par le titre d'académicien de la Rochelle dont je suis honoré, puisqu'enfin vous voulez bien parler de moy, il faut que vous soyez instruit de touttes mes faiblesses.
Une qui m'est le plus ordinaire, et dont je vous fais ma confession, est de mettre dans un portefeuille les lettres que je reçois, et de croire toujours que je répondray demain. Des études de différent genre, des voiages, des maladies font que ce demain ne vient point; et quelquefois au bout d'un mois, je finis par ignorer si j'ay répondu ou non, par être honteux de moy même, et par un beau et inutile dessein de me corriger. Je sçai bien que j'ay dû vous prier de présenter à L'académie mes très humbles remercimens, que j'ay dû vous dire combien je suis touché de cette adoption, mais je vous avoue que je ne sçai si j'ay rempli ce devoir. Si malheureusement je suis coupable, je vous suplie monsieur d'obtenir ma grâce. L'attachement véritable que j'aurai toutte ma vie pour une académie qui fait l'honneur de mon ancienne patrie réparera la fautte que je crains d'avoir faitte. Je compte avoir l'honneur de vous envoyer dans quelques semaines, à vous monsieur et à L'académie une édition nouvelle de la Henriade. La mémoire de mon héros est prétieuse aux Rochelois. On aura toujours de L'indulgence pour la Henriade en faveur de Henri quatre. Je vous suplie encor une fois d'excuser mon peu de mémoire, et d'assurer L'académie de ma respectueuse reconnaissance. Je seray toute ma vie avec les sentiments qui m'attachent à elle et à vous,
Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire