Mon cher silphe dont je n'ose encor m'appeler le confrère, mais dont je seray toute ma vie L'amy le plus tendre, je vous cherche partout pour vous dire combien il me sera doux d'être lié avec vous par un titre nouvau; je suis pénétré de tout ce que vous avez fait pour moy, mais comment me conduirai-je au sujet du libelle diffamatoire dans le quel l'académie est outragée et moy si horriblement déchiré?
Il n'est que trop prouvé aux yeux de tout Paris que le Sr Roy est l'auteur de ce libelle coupable. Son propre libraire (ordinaire), qui est un honnête homme, luy a entendu dire précisément les mêmes choses qui sont dans le libelle. Il l'a récité devant plus de six personnes, mais on n'est pas encor sûr que ceux devant les quels il a eu cette imprudence, veuillent déposer en justice. En un mot le Sr Roy est convaincu devant tout Paris, mais il ne l'est pas encore juridiquement. C'est le vingtième libelle diffamatoire dont il est reconnu l'auteur, et il n'y a pas longtemps qu'il écrivit deux lettres anonimes à M. le duc de Richelieu. Il a comblé la mesure de ses crimes, mais je dois respecter la protection qu'il se vante d'avoir surprise auprès de la Reine. Il a pris les apparences de la vertu pour être reçu chez la plus vertueuse Princesse de la terre. C'est la seule manière de la tromper, mais cette même vertu dont sa majesté donne tant d'exemples permettra sans doute que je me serve des voies de la justice, pour faire connaître le crime. Je vous suplie d'exposer à la reine mes sentiments, et de luy demander pour moy la permission de suivre cette affaire. Je ne feray rien sans le conseil du directeur de l'académie, et surtout sans que vous m'ayez mandé que la reine trouve bon que j'agisse. Vous pouriez même peutêtre luy lire ma lettre. Elle y découvriroit un cœur plus touché des sentiments d'admiration que ses vertus inspirent, qu'il n'est pénétré du mal que le sr Roy m'a voulu faire.
Adieu homme aimable et digne de servir celle que la France adore.
V.
ce mardy [? 19 April 1746]