Permettez vous monseigneur que je fasse passer à mr Ch. vos sentiments généreux?
Ce sera une consolation pour luy, et un nouvel honneur pour vous. Gros de Bose a tort de ne vous avoir pas marqué de quoy il étoit question. Il devoit pressentir qu'on lit à la hâte ces sortes de brochures et que le trait dont il est question pouvoit vous échaper. C'est par parentèse un petit piège que vous ont tendu icy ceux qui devoient suprimer ce misérable et calomnieux ouvrage. Au reste j'ay une voye sûre et toutte naturelle pour faire connaître à M. Ch. ce que vous pensez. Mais je ne veux point faire cette démarche sans votre permission. En voicy une autre qui pouroit avoir votre approbation et votre protection.
J'ay envie de ne point jouir du bénéfice d'historiografe sans le desservir. Voicy une belle occasion. Les deux campagnes du Roy méritent d'être chantées mais encor plus d'être écrites. Il y a d'ailleurs en Hollande tant de mauvais Français qui inondent l'Allemagne d'écrits scandaleux, qui déguisent les faits avec tant d'impudence, qui par leurs satires continuelles aigrissent tellement des esprits déjà mal disposez, qu'il est nécessaire d'opposer à tous ces mensonges, la vérité représentée avec cette simplicité et cette force qui triomphent tôt ou tart de L'imposture. Mon idée ne seroit pas que vous demandassiez pour moy la permission d'écrire les campagnes du roy; peutêtre sa modestie en seroit allarmée et d'ailleurs je présume que cette permission est attachée à mon brevet. Mais j'imagine que si vous disiez au roy que les impostures qu'on débite en Hollande doivent être réfutées, que je travaille à écrire ses campagnes, et qu'en cela je remplis mon devoir, que mon ouvrage sera achevé sous vos yeux et sous votre protection, enfin si vous luy représentez ce que j'ay l'honneur de vous dire avec la persuasion que je vous connois, le roy m'en saura quelque gré, et je me procureray une occupation qui me plaira, et qui vous amusera. Je remets le tout à votre bonté. Mes fêtes pour le roy sont faittes, il ne tient qu'à vous d'emploier mon loisir.
Je n'entends point parler de la Russie. Oseraije vous suplier de vouloir bien me recommander à M. d'Allion? Vous me protégez au midy, daignez aussi me protéger au nord, et puisse la paix habiter les quatre poins cardinaux du monde et le milieu.
Madame du Chastellet vous fait mille complimens.
17 aoust [1745]