ce lundy [c. 1745]
à vous seule,
Je compte sur vos bontez madame comme si j'avois passé ma vie à vous faire ma cour.
Cependant vous avez eu un peu méchante opinion de moy. Vous avez imaginé que j'aurois sûrement fait le conte du sucrier à votre amie. Vous savez àprésent que j'avois gardé fidélité à madame du Deffant, et vous êtes obligée en conscience et en honneur d'avouer votre faiblesse et de rendre justice à ma vertu. Je suis attaché depuis longtemps à votre amie avec l'amitié la plus inviolable et la plus vive, mais je ne luy dis jamais ce qu'on m'a deffendu de dire. Voylà un bel exemple de discrétion que je donne. Comptez que je me mets à être excessivement vertueux. Je ne doute pas madame que vous ne le soiez de votre côté prodigieusement; mais comme les plus dévotes ont toujours besoin d'être soutenues dans le chemin de la perfection soufrez je vous en conjure ma petite exhortation à persévérer dans le bien.
Premièrement je vous demande à genoux de ne jamais dire que j'aye eu l'honneur de vous écrire ce sermon, et de vouloir bien me le renvoier avec un petit mot de réponse au bas.
Ayez la bonté de vous souvenir de ce que je vous ay dit au sujet de votre amie. Si je croiois qu'on pût se méprendre à ma tendre et respectueuse amitié pour elle, et que je pusse jamais avoir dans le monde le ridicule de passer pour un homme qui sort de sa sphère, si j'imaginois qu'elle eût lieu de se repentir, de m'avoir aimé comme son frère, je serois un homme inconsolable. Je sai à quel point la malignité du monde empoisonne ce qu'il y a de plus innocent. La liberté extrême de la conduitte de votre amie avec moy devroit bien éloigner des soupçons si injurieux pour elle, et c'est peutêtre ce qui les confirme. Elle n'a rien sans doute à redouter de vous, aussi ce n'est pas pour elle que je vous écris, c'est pour moy qui me jette à vos pieds, et qui vous conjure, quand vous luy parlerez de ne rien dire qui l'alarme sur moy. Si je pouvois être assez heureux pour passer quelquefois des moments entre vous et elle, je croirois ma destinée fort au dessus de ceux qui prennent dans le monde si impunément le nom d'amants.
Enfin madame, je vous demande votre protection, vos bontez, votre suffrage. Si ceux qui sont le plus vivement pénétrez de ce vous valez ont quelque droit à votre bienveillance, qui la peut mériter mieux que moy.
Je vous suis dévoué avec le plus profond respect.
Volt.