1745-01-31, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Robert Le Cornier de Cideville.

Mon aimable amy je suis un barbare qui n'écris point ou qui n'écris qu'en vile prose.
Vos vers font mon plaisir et ma confusion. Mais ne plaindrez vous pas un pauvre diable qui est boufon du roy à cinquante ans, et qui est plus embarrassé avec les musiciens, les décorateurs, les comédiens, les comédiennes, les chanteurs, les danseurs, que ne le seront les huit ou neuf électeurs pour se faire un césar allemand? Je cours de Paris à Versailles, je fais des vers en chaise de poste. Il faut louer le roy hautement, madame la dauphine finement, la famille royale tout doucement, contenter la cour, ne pas déplaire à la ville.

Oh qu'il est plus doux mille fois
De consacrer son harmonie
A la tendre amitié dont le st nœud nous lie!
Qu'il vaut mieux obéir aux loix
De son cœur et de son génie
Que de travailler pour des rois!

Bonjour mon cher amy, je cours à Paris pour une répétition, je reviens pour une décoration. Je vous attends pour me consoler et pour me juger. Que n'êtes vous venu pour m'aider! Adieu, je vous aime autant, que j'écris peu.

V.