1742-12-09, de Frederick II, king of Prussia à Voltaire [François Marie Arouet].

Mon cher Voltaire, j'ai oublié de vous envoyer ma comédie par le dernier ordinaire, ainsi que vous ne la recevrez que par celui-ci; je crains que votre curiosité sera mal satisfaite.
Si je n'avais qu'à faire des comédies, peut-être me réussiraient elles mieux; mais vous savez que je suis obligé de me partager en tant de branches qu'il ne m'est pas possible d'y fournir à toutes la sève convenable.

Votre Pucelle m'est toujours présente dans l'imagination; je vous prie, ne laissez pas imparfaite la charité que vous m'en avez faite et envoyez moi le reste de l'ouvrage.

Que les saints seront étonnés
Qui cheminaient à la gloire éternelle,
Lorsqu'ils verront dans la Pucelle
Comme ils seront de Belcebud bernés;
En vérité vous êtes peu honnête
D'imaginer en votre tête
Un pape au milieu des damnés.
Si tel est le sort du saint père,
Des cardinaux et des grands saints,
Que nous restera-t-il, Voltaire,
Pour les paillards et les putains?

Nous avons eu avant hier l'opéra de Cléopatra, qui a très bien réussi; il y avait un monde infini; les danseurs et les chanteurs se sont surpassés, et j'ai vu des Français hésiter sur le choix des airs de leur pays ou des Italiens.

Adieu, mon cher Voltaire; j'attends la grosse cargaison de vos ouvrages avec autant d'impatience que les juifs de Madrid attendent les galions et l'arrivée des trésors du Mexique.

Federic