à Langres ce 19ejuillet [1744]
Vous vous souvenez peut être, monsieur, du temps qu'il fit hier samedi tout le jour; j'étais en chemin pour venir icy, et j'eus la pluie sur le corps toute la journée. C'est dans cette situation que je vous écrivis ces vers, qui se sentent, je crois, de l'humidité. Jugez s'il avait fait un beau soleil, les belles choses que je vous aurais dites. Je suis venu icy attendre ce qu'il plaira au ciel d'ordonner des pandours, car comme assurément je ne suis pas un si grand homme que Maupertuis, il ne me conviendrait pas d'éprouver les mêmes avantures, il y aurait de l'air à celà. Me voilà raproché de Cirey, mais comme je suis toujours au moment de repartir dès que j'aurai des nouvelles, il n'y a pas moien de m'écarter, d'autant plus que depuis le temps qu'il a fait il faudrait une journée toute entière pour parcourir la traverse qui est entre vous et la dernière poste. Ainsi je me vois forcé de remettre mon voiage au mois prochain. made Du Chatelet m'a mandé l'état où vous aviez été le reste du jour que je vous quittai. Ce n'était pas là l'idée que j'emportai avec moi. Je partis rempli d'édification de vôtre bonheur réciproque. Dites lui bien que j'ai été touché sensiblement de l'amitié qu'elle me témoigne, et que je désire la mériter. Je n'ose vous parler de l'épitre charmante que je reçois, quoi qu'il soit tout naturel d'aimer à chanter ses prologues, je n'ai rien lû de si tendre ni de si galant. Celà est dans le goût de l'ôde, ô navis referent in mare etca, avec cette différence que vous ne changez pas d'objet, et qu'il eût été bien plus aisé à Horace de trouver à louer Virgile. Je n'ai nulle nouvelle de Mr de Richelieu, mandez moi ce que vous en savez, ainsi que toutes les nouvelles qui vous parviendront; je recevrai vos lettres le lendemain. Adieu, monsieur, je vous embrasse de tout mon cœur.