1744-06-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Jean François Hénault.

Les gens de bonne compagnie, monsieur, et ceux qui prétendent en être, vont bien se rengorger quand ils verront que le livre le plus utile nous vient de l'homme du monde le plus aimable.
Nous recevons dans ce moment votre présent charmant. Madame du Châtelet va quitter les tables astronomiques de Bayer, pour vous en remercier; et moi je quitte très volontiers ma fête de Versailles pour vous dire combien votre livre m'enchante. Nous le parcourons. Je le lis, en vous écrivant. J'admire ces traits brillants et vrais dont vous caractérisez les rois et les siècles. Ce que vous dites de Louis XII, de Henri IV, de Louis XIII, de Louis XIV, doit être appris par cœur. N'allez pas croire, au moins, que la reconnaissance que je vous dois sur Henri IV me fascine les yeux. Je vois très clairement que votre ouvrage est un chef d'œuvre d'esprit et de raison. Point de satire, point de prévention, point de faux raffinements. Vous avez enchâssé, dans cette chronologie, mille anecdotes intéressantes, qui toutes servent à faire connaître les temps dont vous parlez. Votre ouvrage vivra, je vous en réponds; faites donc comme lui, n'ayez plus de coliques. Passez à Cirey, en allant aux eaux, et employez votre loisir à nous donner votre grande histoire que cet abrégé doit faire désirer à tous ceux qui veulent lire pour s'instruire et pour avoir du plaisir. Je viens de lire l'article du chancelier de l'Hôpital; grand merci, c'est un chancelier que j'idolâtre; il était philosophe, vrai philosophe, excellent citoyen et faisait de beaux vers latins.

Hic jacet a nullis potuit quœ Gallia vinci,
Ipsa sui victrix, ipsa sui tumulus.

Que vous avez bien fait de donner tant d'éloges au grand Colbert! La lettre à Vossius! bon encore; cela peut fructifier en son temps: ce sont des germes de vertu et de grandeur. Le public doit vous être très obligé; il n'avait point encore vu de cette besogne.

Je vous demande en grâce de vous souvenir de moi avec madame du Deffant. Conservez moi vos bontés et les siennes. Elle écrit à madame du Châtelet des lettres bien plaisantes. Tentat eam, quelquefois in œnigmatibus. On les devine sur le champ. Adieu, monsieur; je vous aime, je vous respecte, je vous suis dévoué pour la vie.

V.

A propos: mais madame du Châtelet vous a aussi envoyé son livre, et vous ne lui en dites mot: elle est fort piquée de ce que vous ne lui dites pas votre avis sur le carré de la vitesse. C'est cela qui est intéressant!