à Cirey ce 30 mai [1744]
Je vous suis très obligé de la sensibilité que vous me marquez à la perte que je viens de faire de ce pauvre Denis.
Sa veuve est très à plaindre, elle a fait une perte unique, elle était adorée d'un mari honnête homme et aimable. Elle perd des jours et des nuits et de la fortune, qu'elle ne retrouvera plus. Je vous avais prié par la réponse que je fis à votre première lettre de dire à m. l'abbé de Rothelin combien je m'intéressais à sa santé. Vous avez prévenu mes prières, mais vous m'annoncez de fort tristes nouvelles. Il faudrait que des âmes comme la sienne vécussent dans de meilleurs corps et dans un meilleur siècle, et que la vertu ne fût point obligée de rendre hommage au fanatisme et à l'hypocrisie. J'attends avec impatience la nouvelle du payement qui s'est fait attendre si longtemps. Il faut bien qu'enfin vous jouissiez de cette petite aisance qui ne dérangera pas votre philosophie, mais qui la rendra plus heureuse. Le bonheur que je goûte dans une retraite délicieuse et dans un loisir toujours occupé des arts et de l'amitié augmentera par les accroissements de votre fortune, si on peut appeler fortune ce nécessaire qu'on vous a promis. Je vous embrasse.