1741-11-22, de Voltaire [François Marie Arouet] à — Seguy.

Je fais tout monsieur pour le bien de la paix, et pour avoir quelque droit à votre amitié.
Vous sentez assurément que je vous fais des sacrifices, mais je les fais du meilleur de mon cœur, et je suis sûr que votre probité, et la bonté de votre cœur m'en tiendront un peu compte. Vous pouvez retrancher ces mots à plusieurs personnes, s'ils vous déplaisent.

Vous avez deux lettres de moy sur ce sujet dans les quelles vous pouvez choisir ce qui conviendra le mieux à vos idées. Je n'ay point de minutes de ces deux lettres, et j'ignore absolument quelle manière de les terminer doit vous agréer davantage, tout ce que je sçai c'est que toutes deux ont été écrites dans l'unique dessein de vous satisfaire.

Lorsqu'après une longue conversation avec M. le comte de Lannoy je vous écrivis avec effusion de cœur, je n'étois rempli que de l'espérance de vous convaincre par mes procédez de la droiture de mes intentions, et comptant absolument sur quelque retour de votre part, comme j'y compte encore plus que jamais, je me livrois entièrement à la confiance; c'est dans le même esprit que je vous réitère mes suplications monsieur de ne point rendre publiques, les lettres que j'écrivis il y a vingt ans à votre amy; il y a plusieurs traits qui me feroient tort. Entre autres sur Mr de Longepierre, et sur mr de la Motte. Les partisans de feu mr De Longepierre dont il est parlé dans une de ces lettres sont des personnes de la première considération pour les quelles j'ay baucoup de respect, et qui deviendroient mes ennemies. Epargnez moy je vous en suplie ces nouvaux chagrins; et laissez moy achever en repos, une vie acablée de maladies, et de traverses.

Je crois que vous ferez aussi un vrai plaisir à madame du Chastellet, et à toute la famille de Breteuil, de ne point imprimer les lettres de feu M. le baron de Breteuil. Elles ne sont guères de nature à voir le jour. De pareilles lettres sont des conversations dans les quelles on se permet une infinité de choses hazardées. Il s'est repenti sans doute d'avoir apellé maroufle, la Motte qui étoit le plus honnête homme du monde, et d'avoir écrit tant de nouvelles dont il a depuis reconnu la fausseté, mais ce n'est pas à moy à prévenir les prières que madame du Chastellet, et la maison de Breteuil pouront vous faire, je me borne uniquement à vous prier monsieur de retrancher au moins tout ce qui poura se trouver de personnel, dans mes anciennes lettres qui vous sont tombées entre les mains, si je ne peux obtenir de vous que vous les suprimiez entièrement.

Je n'ay pu répondre plustôt monsieur à votre lettre du 8 novembre, ayant toujours voiagé. Je suis pour quelques mois dans cette ancienne solitude de Cirey avec madame la marquise du Chastellet. La douceur du repos que je commence à goûter sera fort augmentée si je puis aprendre que vous êtes un peu content de ma conduite franche et naïve, et si vous contribuez à m'épargner pour jamais toutes ces disputes littéraires, qui dérobent un temps prétieux et qui nous privent de la paix, le plus grand bien des hommes. C'est dans ces sentiments, et avec l'envie sincère d'être votre ami, que je suis, Monsieur,

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire