Dans un f… village près de Brunsvick, ce 14 octobre [1743] au matin.
Que je me console un peu avec vous, mon très aimable ami.
Pour comble d'horreur, mon cher ami, deux bouteilles de vin de Hongrie se cassent, et personne n'en boit; la liqueur jaunâtre inonde mes pieds: mais ce n'est pas du pissat d'âne de Lognier, c'est du nectar répandu sur mon sottisier.
Je ne me suis aperçu de ma perte que fort tard. Je suis à présent comme Roland, qui a perdu le portrait d'Angélique; je cherche et je jure. Enfin j'arrive, à minuit, dans un village nommé Shaffen-Stad ou F….-Stad. Je demande le bourgmestre, je fais chercher des chevaux, je veux entrer dans un cabaret: on me répond que le bourgmestre, les chevaux, le cabaret, l'église, tout a été brûlé. Je pense être à Sodome. Je me conforte dans mes disgrâces en buvant de meilleur vin que le bonhomme Loth.
Enfin, aimable Césarion, me voilà dans la non magnifique ville de Brunswick. Ce n'est pas Berlin, mais j'y suis reçu avec la même bonté. On s'est douté que j'avais une lettre du grand, ou plutôt de l'aimable Fédéric: on me mène à un meilleur gîte que Shaffen-Stad. Le duc et la duchesse étaient déjà à table; on m'apporte vingt plats et d'admirables vins.
Bonjour; je n'écrirai à notre héros que quand j'aurai eu l'honneur de saluer madame sa sœur. Mais dites un peu au grand homme qu'il faut absolument qu'il m'envoie à la Haie deux autres médailles, sans quoi je ne retournerai ni à Paris ni à Berlin. Je vous embrasse mille fois, mon charmant ami.