1743-09-10, de Graf Otto Christoph von Podewils à Graf Heinrich von Podewils.

… Mr de Voltaire est déjà parti hier matin avec le baron de Keyserlingk pour Postdam, ainsi que je n'ai pu m'acquitter des compliments dont v. e. m'a chargé pour lui.
Il est parti aujourd'hui avec le roi pour Baireuth, et il compte de revenir ici par Dresde. S. m. doit arriver ce soir à Halle.

Voltaire m'a dit dans la dernière confidence qu'il était assez content des dispositions dans lesquelles il avait trouvé le roi; que cependant s. m. lui avait fait connaître que les affaires n'étaient pas encore arrivées à leur point de maturité pour qu'il pût se déclarer, et qu'outre cela il hésitait de le faire à cause de la mauvaise conduite du ministère français, sur laquelle il s'était récrié beaucoup.

Je suis du sentiment de v. e., et je crois que le roi ne le laissera pas éblouir par les offres brillantes que la France lui fera peut-être.

J'ai l'honneur de souper presque tous les jours chez l'une des deux reines, qui me témoignent toutes les bontés possibles. Elles sont extrêmement satisfaites de Voltaire, qui avant son départ a lu à la reine mère deux actes d'une tragédie, qu'il compose actuellement et dont la lecture a arraché des larmes à tous les assistants. Voici des vers qu'il a faits sur la princesse Ulrique:

Souvent un peu de vérité
Se mêle au plus grossier mensonge.
Cette nuit, dans l'erreur d'un songe,
Au rang des rois j'étais monté.
Je vous aimais alors et j'osais vous le dire;
Les dieux à mon réveil ne m'ont pas tout ôté,
Je n'ai perdu que mon empire.

Comme on lui témoigna que la princesse Amélie était jalouse de la préférence, il fit sur le champ les vers suivants:

Si Paris venait sur la terre
Pour juger entre vos beaux yeux,
Il eût coupé sa pomme en deux
Et n'aurait point produit de guerre.

Le marquis d'Argens l'ayant engagé, l'autre jour, au souper de la reine mère, à une dispute assez abstraite, Voltaire fit l'impromptu suivant qu'il adressa à la princesse Ulrique:

J'apprends ici ce qu'il faut croire,
Mon enfer est chez Mirepoix,
Une dispute obscure est mon vrai purgatoire;
Je suis au ciel quand je vous vois.

En voici d'autres qu'il a faits sur un objet moins élevé, savoir mademoiselle Babet Cochois. Le marquis d'Argens l'y ayant menée, mademoiselle Cochois, qui pendant la conversation avait paru interdite, adressa les vers suivants à d'Argens:

Ah! fuyez loin de moi, triste timidité,
Puisque de mon berger vous détruisez l'ouvrage;
Hélas, ses tendres soins, avaient ils mérité
Que vous ne me suiviez que pour lui faire outrage?

Voici la réponse que Voltaire y fit:

Non! la timidité n'est point ce qui vous guide,
Un mérite modeste est votre unique appui,
Avec votre berger vous n'êtes point timide,
Vous savez qu'on n'a rien à craindre auprès de lui. . . .