à la Haye ce 27 juin 1743
Il n'arrive que trop souvent
Que tandis qu'on monte sa lire,
Et qu'on arrange un compliment,
Pour notre amy qui nous inspire,
Notre amy loué hautement
Prend ce temps là tout justement
Pour mériter une satire.
Vous me prodiguez mon cher amy les plus beaux éloges, sur cette noble philosofie avec laquelle je refuse les invitations des rois, et vous me louez de préférer ma petite retraitte du fauxbourg St Honoré aux palais de Berlin, et de Charlotembourg. Savez vous que j'ay reçu votre épître quand j'étois en chemin pour aller faire ma cour au roy de Prusse?
Cependant, ce n'est pas au prince,
Au conquérant d'une province,
Au politique, au grand guerrier,
Que je vais porter mon hommage.
C'est au bel esprit, c'est au sage,
Que je prétends sacrifier:
Voylà l'excuse du voiage.
Puisqu'il a daigné jouer luy même Jules Cesar dans une de ses maisons de plaisance avec quelques uns de ses courtisans, n'est il pas bien juste que je quitte pour luy les Visigots qui ne veulent pas qu'on joue Jules Cesar en France? et faut il que je me prive du plaisir de voir un savant, un bel esprit, enfin un homme aimable, par ce qu'il porte malheureusement des couronnes électorales, ducales et royales?
J'admire en luy l'esprit facile,
Toujours vray, mais toujours orné;
Et c'est un autre Cideville
Qui par malheur est couronné.
Un Diogene insuportable,
Moitié sophiste et moitié chien,
Croit placer le souverain bien
A donner tous les rois au diable.
Pour moy je suis plus sociable,
Je hais il est vray tout lien,
Mais être Roy ne gâte rien,
Lorsque d'ailleurs on est aimable.
Vous m'avouerez encor que je dois au moins la préférence à sa majesté le roy de Prusse sur l'ancien évêque de Mirepoix.
Quand ce monarque singulier
Daigne d'un regard familier
Echauffer ma muse légère,
Me chérit et me considère,
Mon sort est toujours de déplaire
Au révérend père Boyer,
Le quel voudroit dans son foyer
Brûler et Racine et Molière,
Et la Henriade, et Voltaire,
Et ma couronne de laurier:
C'est là ce qui me désespère.
Je veux en partant de Berlin
Demander justice au Saint Père.
J'iray baiser son pied divin
Et chez vous je viendrai soudain
Avec indulgence plénière,
Car Le Sage Lambertini
N'est point cagot atrabilaire:
Il est rempli de la lumière
Di questi grandi romani
Admirez! de la terre entière,
Des beaux arts il est deffenseur
Et le successeur de saint Pierre
De Leon dix est successeur.
Je veux avoir enfin Rome pour mon amie
Et malgré quelques vers hardis
Je veux être un Elu dans le Saint paradis
Si je suis réprouvé dans votre Académie.
Mais c'est trop se flatter de chercher à la fois
Et les agnus de Rome, et les faveurs des rois.
Non, terminons en paix mon obscure carrière,
Et du pape, et des grands, et des rois oublié
Ne vivons que pour l'amitié:
C'est mon trône et mon sanctuaire.