[c. 25 December 1742]
Sire,
Votre humanité est plus adorable que jamais, il n'y a plus moyen de vous dire toujours votre majesté. Cela est bon pour des princes de l'empire qui ne voient en vous que le roi. Mais moi qui vois l'homme, & qui ai quelquefois de l'enthousiasme, j'oublie dans mon ivresse le monarque & la puissance, pour ne songer qu'à cet homme enchanteur.
Si la reine de Hongrie & le roi mon seigneur & maître voyaient la lettre de votre majesté, ils ne pourraient s'empêcher de rire, malgré le mal que vous avez fait à l'une & le bien que vous n'avez pas fait à l'autre. Votre comparaison d'une coquette, qui a donné des faveurs un peu cuisantes, & qui se moque de ses galants dans les remèdes, est une chose aussi plaisante qu'en aient dit les Césars, les Antoines, & les Octaves vos devanciers, gens à grandes actions & à bons mots. Faites comme vous l'entendrez avec les rois, battez les, quittez les, querellez vous, raccommodez vous, mais ne soyez jamais inconstant pour les particuliers qui vous adorent.
Il pleut ici de mauvais livres & de mauvais vers; mais comme votre majesté ne juge pas de tous nos guerriers par l'aventure de Lints, elle ne juge pas non plus de l'esprit des Français par les Etrennes de la st Jean, ni par les grossièretés de l'abbé Desfontaines.
Il n'y a rien de nouveau parmi nos libraires de Paris. Voici le seul trait digne, je crois, d'être conté. Le cardinal de Fleury, après avoir été assez malade, s'avisa, il y a deux jours, ne sachant que faire, de dire la messe à un petit autel au milieu d'un jardin où il gelait. Monsieur Amelot & monsieur de Breteuil arrivèrent, & lui dirent qu'il se jouait à se tuer: bon, bon, messieurs, dit il, vous êtes des douillets. A quatre-vingt-dix ans, quel homme! Sire, vivez autant, dussiez vous dire la messe à cet âge, & moi la servir. Je suis avec le plus profond respect &c.