A Paris, ce 15 août 1742
Monsieur, recevez tous mes remerciements de la diligence avec laquelle vous avez bien voulu expédier hier mon courrier, et de la décision que vous m'avez envoyée.
J'ai suivi vos ordres de point en point. J'ai envoyé chercher Voltaire. Quoiqu'il fût au lit quand il a reçu ma lettre, il s'est levé, et est venu chez moi, avec madame du Châtelet. Notre conversation a été trop longue pour vous la détailler. Demain, en vous faisant ma cour, j'aurai l'honneur de vous en rendre compte. Le résultat a été que Voltaire retirerait lui même la pièce, qu'elle me serait remise ce soir, ou demain matin au plus tard, et qu'il s'arrangeroit avec les comédiens pour tâcher d'éviter tout éclat. Il est d'une belle colère contre m. le procureur général, et madame du Châtelet n'est pas moins fâchée. Sitôt qu'ils ont été sortis de chez moi l'un et l'autre, j'ai été chez m. le procureur général: je lui ai dit les ordres que j'avais reçus de vous, sans toutefois convenir que je les eusse reçus de si bonne heure, parce que, quelque diligence que j'aie faite, il était trop tard, quand ma conversation a été finie avec Voltaire, pour pouvoir faire dire à la Comédie d'annoncer pour jeudi une autre pièce. Mais, quoique je lui aie dit que je n'avais pas encore vu Voltaire, que je lui avais simplement écrit de venir chez moi, que je le verrais sûrement le soir ou ce matin, et qu'une chose sûre était que la pièce ne serait plus jouée, il m'a paru content.
Ainsi, voilà cette grande affaire finie, dont je vous suis d'autant plus obligé, que le procureur général persiste toujours dans son dire, que la pièce est des plus dangereuses. Il n'en avait cependant encore vu que deux actes, dans lesquels il m'a dit avoir trouvé des maximes aussi dangereuses qu'impies….