à Potsdam ce 25 de Juillet 1742
Mon cher Voltaire, Je Vous paye à La façon des grands Seigneurs, c'est à dire que je vous donne une très Mauvaise ode pour la bonne que vous m'avez envoyée, et que de plus je vous Condamne à la coriger pour la rendre meilleure; Je pense que ce soit Une des premières odes où l'on ait tant parlé de politique, mais vous devéz vous en prendre à Vous m'ême, vous m'avéz Incité [à] défendre ma Cause, j'ai trouvé en efet que le langage [des dieux est] celui de la Justisse et de L'Inocence, qui [fera toujours] valoir ce morceau de poésie quand même les [vers alexandrins] n'en seroient pas ausi Harmonieux qu'on [pourrait le dé]sirér.
[La reine de Ho]ngrie est bien heureuse d'avoir un procureur qui [entende aussi bi]en que vous le rafinement et la séduction de [la parole.] Je suis heureux que nos Diférens ne se soient [pas vidés pa]r procéz, car en jujent de Vos dispositions [en faveur] de cette reine et de Vos Talens je n'aurois pu tenir [contre Apol]lon et Venus.
Vous Déclaméz à Votre aise contre Ceux qui soutienent leur Droit et leurs prétentions à Main armée, mais je me souviens D'un tems où si Vous aviéz eu une armée elle auroit à coup sûr Marché contre les Desfontaines, les Rouseaux, les Vanduren etz. etz. etz.
Tant que L'arbitrage platonique de L'abé de St Piere n'aura pas Lieux, il ne restera D'autre resource aux Rois pour terminér leurs diférans que d'usér des voyes [de] fait pour arachér de leurs adversaires les justes [satisfactions] aux quelles Ils ne pouvoient parvenir par auc[un autre] expédient. Les Malheurs et les Calamitéz [qui en] résultent sont Comme les Maladies du corps [humain]. La guerre Dernière doit donc être considérée c[omme un] petit accès de fièvre qui a quité l'E[urope] presque ausitôt qu'elle L'avoit prise.
Je m'embarasse très peu des Cris de Paris, ce sont des [frelons] qui bourdonnent toujours, leurs brocards sont comme des Injures de peroquet et leurs Jugemens aussi graves que Les désisions d'un sapajou sur Des Matières Métaphisiques: Comans Vouléz Vous que je trouve à redire que Les parans Du grand Brolio soyent indisposéz Contre moy de ce que [je] n'ai point réparé les Tors de ce grand homme? Mais [je ne] me pique point de Donquichotisme, et loin de [vouloir réparer] les fautes des Autres je me borne à redresér [les miennes si je] le puis.
[Si toute la] France me condamnoit d'avoir fait la paix [ce ne sera ja]mais Voltère le philosophe qui se laisera [entraîner par] le Nombre. Premièrement c'est une [règle généra]le qu'on n'est tenû à ses Engagemens qu'en tems [que ses for]ces le permetent. Nous avions fait une alliance [comme on fai]t des Contrats de Mariage, c'est à dire j'avois [promis de] faire la guerre Come l'époux s'engage [à conten]tér la Concupisance de sa Nouvelle épousée. Mais Come dans le Mariage les désirs de la feme absorbent quelque fois les forces du Mari de même dans la guerre La faiblesse des alliéz apsentit elle le fardeau de la guerre sur un soeul et le Lui rend insuportable. Et pour finir le Tableau, lors qu'un Mari croit avoir des preuves sufisantes de la galanterie de sa feme rien ne l'empêche de faire Divorce. Je ne fais point L'aplication De Ce Dernier article, vous êtes asséz Politique pour la sentir.
Envoyez moy je Vous prie aux plustôt Votre Louis 14, [tous] les jolis fragmens de vers que Vous avéz faits pend[ant votre] séjour de Paris. Je Vous envie à Toute [la terre et] je Voudrois que Vous fusiéz au seul endroit où [vous n'êtes] pas pour Vous réitérér combien je vous estime. [Vale.]
Federic
Ode au sujet des Jugemens
que le Public porte sur Ceux
qui sont Chargez Dans la
sosiété Civille du Malheureux
employ de Politiques
à Potzdam
ce 25 Juilet 1742
Ode
à Mons: de Voltaire
envoy
Federic