ce 2 [13 n. s.] Novem: 1774
Volontier Monsieur je satisferé Votre curiosité sur le compte de Pougatchef, il me sera d'autant plus aisé de le faire qu'il y a un mois qu'il est pris, ou pour parler plus exactement qu'il a été lié et gardé par ses propres gens dans la plaine inhabité entre le Volga et la rivière Jaik, où ils avoit été chassé par les troupes envoyé de tout côté contre eux.
Là privé de nouriture et de moyens pour ce ravitailler, ses compagnons excédés d'ailleurs des cruautés qu'il comettoit et espérant obtenir leur pardon le livrèrent au Comandant de la forteresse du Jaik, qui l'envoya à Sinbirsk au gén: Cte: Panin, d'où il est en chemin présentement pour être mené à Moscou. Amené devant le gén: Panin et dans son premier interrogatoire il avoua naivement qu'il étoit kosak du Don, noma l'endroit de sa naissance, dit qu'il étoit marié avec la fille d'un kosak du Don, que sa feme étoit en vie, qu'il avoit trois enfans, qu'il en avoit épousé une autre pendant ses troubles, que ses frères et ses neuveux servoit à la première Armée, qu'il avoit servi lui même les deux première Campagnes contre la Porte. Come le gén: Panin a beaucoup de Kosaques du Don avec lui, et que les troupes de cette nation n'ont jamais mordu à l'ameçon de ce brigand tout ceçi fut bientôt vérifié par les Compatriotes de Pougatchef. Il ne sait ni lire ni écrire, mais s'est un home extrêmement hardi et déterminé. Jusqu'ici il n'i a pas la moindre traçe qu'il aye été l'instrument de quelque puissance ou intelligence extérieure, ni qu'il aye suivi les inspirations de qui que ce soit. Il est à suposer que Mr Pougatchef est maitre brigand, et non Valet d'âme qui vive. Je crois qu'après Tamerlan il n'i en a guère eu qui aye plus détruit d'espèce humaine, d'abord il pendoit sans rémission ni autre forme de procès toutes les raçes nobles, homes, femes et enfans, tous les offiçiers, et tous les soldats, qu'il pouvoit attaquer. Aucun endroit où il passèrent lui ou sa troupe n'est resté sans être pillé et saccagé. Ceux même qui pour éviter ses excès cherchoit à ce le rendre favorable par une bone réception, n'étoit pas à l'abri du pillage et du meurtre. Mais ce qui montre bien jusqu'où l'home ce flatte, s'est qu'il ose concevoir quelque espérance que je pourrois lui faire grâce ou dit il qu'à cause de son courage il pourroit par ses services futurs faire oublier ses crimes passés; s'il n'avoit offensé que moi son raisonement pourroit être juste et je lui pardoneroit, mais cette cause est celle de l'Empire qui a ses Loix.
Vous voyés par là Monsieur que Dumenil, Avocat dont je n'ai jamais entendu parler malgré les avis de son Parain, seroit venu trop tard pour les giloter. Mr de la Riviere même qui il y a six ans nous supposait marcher à quatre pates, et qui très poliment s'étoit donné la peine de venir de la Martinique pour nous dresser sur nos pieds de derrière n'étoit venu plus à tems. Pour ce qui regarde le baise mains des prêtres sur lequel Vous me questioné je Vous dirai que s'est un usage de l'Eglise grecque établi je pense presque avec Elle. Depuis dix à douze ans les prêtres comencent à retirer leurs mains, les uns par politesses les autres par humilité, ainsi ne Vous gendarmé pas trop contre un ançien usage qui s'aboli. Je ne sais pas aussi, si Vous trouveriés beaucoup à me gronder sur ce que dès ma quatorzième anée je me serai conformée à un usage établi, en tout cas je ne serai pas la seule qui mériterai de l'être. Si Vous venés ici, si Vous Vous faites prêtre je Vous demanderés Votre bénédiction et quand Vous me l'aurés doné je baiseré de bon cœur cette main qui a traçè tant de vérité de belles et bones chose, mais pour que Vous sachiés où me trouver je Vous averti que cet hiver je m'en vais à Moscow. Adieu, portés Vous bien.