à Olmütz, ce 3 de février 1742
Mon cher Voltaire, le démon qui m'a promené jusqu'à présent, m'a mené à Olmütz pour redresser les affaires que les autres alliés ont embrouillées, dit on.
Je ne sais ce qui en sera; mais tant sais je bien que mon étoile est trop errante. Que pouvez vous prétendre d'une cervelle où il n'y a que du foin, de l'avoine, et de la paille hâchée? Je crois que je ne rimerai à présent qu'en oin et en oine.
Je vous renvoie bien loin peut-être; cependant il n'y a rien à faire à présent, et d'un mauvais payeur il faut prendre ce que vous pouvez.
Je lis à présent ou plutôt je dévore votre Siècle de Louis le grand. Si vous m'aimez, envoyez moi ce que vous avez fait ultérieurement de cet ouvrage; c'est mon unique consolation, mon délassement et ma récréation. Vous qui ne travaillez que par goût et que par génie, ayez pitié d'un manœuvre en politique qui ne travaille que par nécessité.
Aurait on dû présumer, cher Voltaire, qu'un nourrisson des muses dût être destiné à faire mouvoir, conjointement avec une douzaine de graves fous que l'on nomme grands politiques, la grande roue des événements de l'Europe? Cependant c'est un fait qui est authentique, et qui n'est pas fort honorant pour la providence.
Je me ressouviens, à ce propos, le conte que l'on fait d'un curé à qui un paysan parlait avec une vénération idiote du seigneur dieu: 'Allez, allez', lui dit le bon presbyte, 'vous vous en imaginez plus qu'il n'en est; moi qui le vends et qui le fais par douzaines, j'en connais la valeur intrinsèque'.
On se fait vulgairement dans le monde une idée superstitieuse des grandes révolutions qui se font dans l'état civil; mais, lorsqu'on est derrière les coulisses, l'on sait que, pour la plupart du temps, les scènes les plus magiques sont mues par des ressorts communs, et par de vils faquins qui n'attireraient que l'indignation du public s'ils étaient vus dans leur état naturel.
La supercherie, la mauvaise foi et la duplicité font malheureusement les caractères dominants de la plupart des hommes qui sont à la tête des nations, et qui en devraient être l'exemple. C'est une chose bien humiliante que l'étude du cœur humain dans ces sortes de sujets; elle me fait mille fois regretter ma chère retraite, les arts, mes amis et mon indépendance.
Adieu, cher Voltaire; peut-être retrouverai-je un jour tout ce qui est perdu pour moi à présent. Je suis avec tous les sentiments que vous pouvez imaginer, votre fidèle ami,
Federic