1741-10-15, de Gabrielle Émilie Le Tonnelier de Breteuil, marquise Du Châtelet-Lomont à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mon cher ami, ie veux v͞s répondre aujourd'huy p͞r v͞s remercier de vos bontés, et de ce que v͞s ne voulés pas que ie sois au désespoir d'être à Paris, ce qui m'arriueroit certainem͞t si ie m'i trouuois sans v͞s.
Mon départ ne tient plus qu'à ma grande reuision, qui comencera d'abord qu'une autre qui est sur le tapis sera finie. Ie comte que ie partirai les premiers jours de 9bre, les fêtes ne m'arêteront pas ni même la perte de ma reuision que ie deurois croire imperdable mais p͞r laquelle ie crains toujours.

Mon dieu que ie v͞s crois fâché de ce pauure mr de Plymont, et qu'il me semble que c'est domage. On m'a mandé qu'il auoit eu toutes les angoisses de ce triste pas, et cela a redoublé mon chagrin.

Voulés [vous] sauoir une singulière nouuelle? Le roy de Prusse a escrit à mr de Voltaire p͞r le prier de se rendre à Berlin à la fin de 9bre ou au comencement de 10bre. Mais ie v͞s assure qu'il ne m'a pas paru auoir le mérite du sacrifice, on doit auoir fait à mr de Maupertuis les mêmes propositions de la part du roi. Il n'a pas les mêmes liens que votre ami, mais ie crois qu'il a des sujets de mécontentement que votre ami n'a pas, et ie serai fort trompée s'il y retourne. I'espère du moins le v[oir] à Paris auparauant. Ce projet de rasembler les beaux arts à Berlin, me paraît sentir la paix, on s'en flatte icy mais on a coutume d'y auoir de mauuaises nouuelles. Ne seroit il pas charmant de mettre Mahomet en train à notre passage, et de le trouuer à notre retour? car ie ne serai à Cirey que le tems de la preuue. Ie serai votre voisine à Paris, m͞e Dautrei me fait le plaisir de m'y prêter sa maison. Adieu mon cher ami, que le triumvirat n͞s aime toujours et soit bien sûr de notre Eternelle amitié.