ce 25 10bre [1738]
J'ay reçu votre lettre mon cher ami, et i'en auois besoin p͞r me rassurer contre votre silence. Mr de V. a la fièure, ainsi ie n'ay osé lui montrer votre lettre.
Le retour de Rousseau et le libelle de l'abé des Fontaines l'auroient mis au désespoir car il a sur ces choses là vne sensibilité qui peut être naturelle, mais qui n'est pas raisonable. Ie pers mes sermons et mon crédit à le calmer et v͞s deués Etre bien sûr que s'il me croyoit il seroit plus heureux. Ie ne crois pas que Rouseau puisse lui faire grand mal, mais ie trouue que Saurin a fait une action bien lâche de se désister d'autant plus qu'on ne manquera pas de l'accuser d'auoir vendu la mémoire de son père. Heureusem͞t personne n'a mandé encore cette nouuelle à votre ami. Il faudra bien qu'il la sache vn jour, mais p͞r le libelle de des Fontaines ie voudrois bien qu'il l'ignorât toujours, car ie serois au désespoir s'il y répondoit.
Saués v͞s vne chose qui va bien v͞s Etoner? c'est que la Mare n'a pas Escrit à votre ami depuis qu'il a fait retirer par l'abé Mousinot son linge qui étoit en gage. C'est vn petit ingrat dont il n'i a nul honneur à se mêler. C'est domage, car il a de l'esprit. Cette circonstance, me fait encore plus désirer que l'enuieux ne paroisse point. Ie suis très fâchée qu'il ait eü cette confiance en la Mare, et c'est encore contre mon gré. Ie n'ay jamais aimé cette pièce, il faut tâcher de la retirer de ses pattes, et cela ne sera ie crois pas aisé, car il aura eü sûrement la précaution, tout Etourdi qu'il est, d'en prendre copie. Il deuoit par sa dernière lettre la faire présenter aux comédiens par Colet. Depuis ce tems, n͞s n'en auons eu nulle nouuelle. I'espère que v͞s n͞s en donnerés, car il seroit essentiel de sauoir si elle a été luë aux comédiens, et si on l'a reçuë, dont ie serois au désespoir, et ce que ie ne crois pas, par votre lettre. I'ay déjà parlé de faire redemander l'original, il n'i aura que v͞s dont l'autorité puisse la retirer, et si votre ami le faisoit redemander par mr Moussinot ou par quelqu'autre, Lamare prendroit cela p͞r une méfiance insultante et deviendroit l'ennemi de votre ami à qui ses bienfaits ont toujours tourné de la sorte. Ie crois que v͞s pouués enuoyer chercher Lamare, lui lauer la tête sur ses procédés auec mr de V. et lui dire qu'il v͞s remette l'original de la pièce. Il ne la eü que sous cette condition, et ses ordres portoient Expressément de v͞s le rendre. Ie ne ferai faire aucune démarche sur cela auant votre response. A l'égard des Epitres, il a beaucoup corrigé les quatre premières, et il compte les enuoyer à Praut qui a ordre de v͞s les montrer auant d'en faire vsage. Ie suis très contente des procédés de Praut p͞r lui, ie le crois honnête home dans sa profession, ce qui est bien rare, et v͞s lui aués fait là vn vray présent. A l'égard de l'épitre sur l'homme, il v͞s l'a Enuoyée dernièrement encore corrigée. Come elle est un peu répanduë ie crois qu'il seroit prudent de la faire présenter à l'aprobation. Ie répons qu'il ôtera tout ce qu'on retranchera, et ie v͞s suplie d'enuoyer chercher Praut p͞r luy donner vos ordres sur cela. Votre ami y compte et v͞s l'a Enuoyée à cette intention. P͞r celle sur le plaisir personne ne l'a que v͞s. Si ie puis Empêcher qu'on ne l'enuoie à Tiriot ie serai bien heureuse. C'est vn bon garçon, mais il est encore plus sûr de ne dire son secret à personne. Come ie n'ay pu montrer votre lettre ie v͞s prie de répéter dans la première que v͞s Escrirés à votre ami, ce que v͞s m'i dites sur l'épitre du plaisir.
Saués v͞s une querelle que i'ay pour ce Tiriot? Mr de V. s'est mis dans la tête de lui adresser (sans y mettre son nom à la vérité), La première de ces Epitres et d'en changer p͞r cela le comencement. C'est la chose du monde que ie veux Eviter le plus. I'ay déjà Esquiué ce danger là une douzaine de fois. Ie v͞s prie et ie v͞s en ay déjà prié de tenir bon p͞r Hermotime, cela aura l'air tout simple. Ie trouue d'ailleurs une espèce de disparate de dédier la première à Tiriot, et la sixième au P. royal. Ie ne sais si ie l'emporteray, mais ie v͞s demande en grâce de m'aider si i'ay besoin de votre secours.
Mais voicy la plus essentielle de toutes nos affaires, c'est celle de Hollande. Aforce de se mitoner elle deuient sérieuse, l'insolence de ces libraires est poussée au comble, et c'est vn peu la faute de mr l'ambassadeur de Hollande, qui auec les plus belles promesses du monde de n͞s obliger, n͞s a nui, car v͞s saués que quand des gens puissans prennent notre parti faible[uknown]mt cela fait croire que n͞s auons tort. Il a escrit auant Fontainebleau à ces libraires la lettre du monde la plus douce, en assurant votre ami que si le remède n'opéroit pas il en Employeroit de plus violens. Cependant m͞e de Chambonin a prouué à l'ambassadeur que ces libraires, loin de se soumettre, s'étoient encore enhardis par sa douceur. Elle lui a escrit depuis qu'elle est icy, mr de V. lui a escrit depuis Fontainebleau, à tout cela aucune réponse. Les libraires qui ont vû que mr de V. se vantoit àfaux de la protection de l'ambassadeur de Hollande, loin de lui faire la réparation qu'il Exigeoit et qu'il étoit en droit d'exiger, le menacent d'un nouueau libelle. V͞s sentés bien que des Fontaines, Rousseau, et cela réünis Ensemble font un état assés violent. Il a déjà pensé en mourir de chagrin cet automne, il a pensé d'aller en Hollande, l'un ou l'autre arriueroit sûrem͞t, et l'un et l'autre me feroit également mourir de douleur. Il faudroit donc mon cher ami engager votre ami qui a bien voulu parler déjà à l'ambassadeur, de lui reparler encore, et de l'engager à faire p͞r mr de V. ce qu'il a promis. Vn mot vn peu plus ferme aux libraires d'Hollande de la part de l'ambassadeur les fera rentrer dans leur deuoir d'autant plus que la justice et leur intérest les y engagent égalem͞t et que ce n'est que par obstination et par de mauuais conseils qu'ils y résistent. V͞s ne me parlés point de 4 bouteilles de lundini que n͞s v͞s auons enuoyés. Ne les auriés v͞s point reçus? Adieu mon cher ami, ie v͞s fais tous les jours de nouuelles prières, mais mon amitié demande grâce p͞r mes importunités.
Il n'i a encore que 4 actes d'ébauchés à notre tragédie. Sans la fièure d'aujourd'hui, j'aurois eü la nouuelle des 5 actes à v͞s aprendre. Ie ne désespère pas de v͞s l'enuoyer toute faitte dans un mois s'il se porte bien.