1741-08-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne André Philippe de Prétot.

J'ay reçu monsieur votre lettre du 2 d'aoust.
Puisque vous voulez me faire l'honneur de m'envoyer quelques uns des recueils dont vous me parlez, vous pouvez les faire mettre au coche de Bruxelles à mon adresse. Il n'y a pas de plus sûr moyen. J'auray soin de les faire retirer dans le temps. C'est peutêtre faute d'avoir eu ce soin que je n'ay pas eu les tomes dont vous m'aviez gratifié. Je devrois en reconnaissance avoir l'honneur de vous faire tenir les recueils qu'on a faits de mes faibles ouvrages, mais ils sont tous si mal imprimez, si informes, si défigurez, que je ne puis faire autre chose que les désavouer.

Cependant je pourois faire insérer à la main touttes les corrections et additions nécessaires qui sont en très grand nombre; cela pouroit même fournir un recueil assez curieux dont je me ferois un plaisir de vous rendre le maître. Vous n'auriez qu'à me mander sous quelle adresse vous jugeriez à propos que je vous fisse tenir le paquet.

Vous avez grande raison de vous plaindre que les savants de ce siècle ne ressemblent pas à ceux du temps de Louis 14, rien ne ressemble à cet heureux temps. La décadence des arts a suivi de près leur gloire. Il n'y a plus rien à espérer pour ceux qui les cultivent. Je souhaitte passionément de vous être utile, mais que peut un solitaire qui a mis son bonheur dans la retraitte, et qui voit ce bonheur empoisonné par l'impuissance de servir le mérite?

J'ay reçu des lettres, ou plutôt des billets de mr Darnaud. Il se plaint dans sa dernière lettre de mon silence, mais il a toujours oublié de me donner son adresse. Je ne sçais ny où le prendre, ny comment le servir. J'ignore si vous le voyez. Je vous prie, si vous le rencontrez, de luy dire que j'ay toujours pour luy les mêmes sentiments. Je ne sçai pourquoy il m'a mandé qu'il craignoit que sa petite disgrâce ne m'eût réfroidy. Il me prend donc pour un lieutenant de police. Si je l'étois je ne me servirois de mon crédit que pour être utile aux jeunes gens comme luy qui ont plus de talent que de fortune.

Je suis avec bien de l'estime monsieur votre très humble et très obéissant serviteur

Volt.