ce 20 avril 1741
Eh bien mauvais plaisants, critiques obstinés,
Prétendus beaux esprits à médire acharnés,
Qui parlant sans penser, fiers avec ignorance,
Mettez légèrement les rois dans la balance,
Qui d'un ton décisif, aussi hardi que faux,
Assurez qu'un savant ne peut être un héros,
Ennemis de la gloire & de la poésie,
Grands critiques des rois, allez en Silésie;
Voyez cent bataillons près de Neiff écrasés;
C'est là qu'est mon héros, venez si vous l'osez.
Le voilà ce savant que la gloire environne,
Qui préside aux combats, qui commande à Bellone,
Qui du fier Charles douze égalant le grand cœur,
Le surpasse en prudence, en esprit, en douceur.
C'est lui même, c'est lui dont l'âme universelle
Courut de tous les arts la carrière immortelle;
Lui qui de la nature a vu les profondeurs,
Des charlatans dévots confondit les erreurs;
Lui qui dans un repas sans soins & sans affaire,
Passait les ignorants dans l'art heureux de plaire;
Qui sait tout, qui fait tout, qui s'élance à grands pas
Du Parnasse à l'Olimpe, & des jeux aux combats.
Je sais que Charles douze, & Gustave, & Turenne,
N'ont point bu dans les eaux qu'épanche l'Hipocrène:
Mais enfin ces querriers, illustres ignorants,
En étaient moins polis, & n'étaient pas plus grands.
Mon prince est au dessus de leur gloire vulgaire,
Quand il n'est point Achille, il sait être un Homère;
Tour à tour la terreur de l'Autriche & des sots,
Fertile en grands projets aussi bien qu'en bons mots,
Il épouvante Vienne & les suppôts de Rome,
Il parle, agit, combat, écrit, règne en grand homme.
O vous qui prodiguez l'esprit et les vertus,
Reposez vous mon prince, & ne m'effrayez plus:
Et quoique vous sachiez tout penser & tout faire,
Songez que les boulets ne vous respectent guère,
Et qu'un plomb dans un tube entassé par des sots,
Peut casser d'un seul coup la tête d'un héros,
Lorsque multipliant son poids par sa vitesseIl fend l'air qui résiste & pousse autant qu'il presse.
Alors privé de vie, & chargé d'un grand nom,
Sur un lit de parade étendu tout du long,
Vous iriez tristement revoir votre patrie.
O ciel! que feroit on dans votre académie?
Un dur anatomiste, élève d'Atropos,
Viendrait scalpel en main disséquer mon héros;
La voilà, dirait il, cette cervelle unique,
Si belle, si féconde, & si philosophique;
Il montrerait aux yeux les fibres de ce cœur,
Généreux, bienfaisant, juste, plein de grandeur;
Il couperait: mais non, ces horribles images
Ne doivent point souiller les lignes de nos pages.
Conservez, ô mes dieux! l'aimable Frederic,
Pour son bonheur, pour moi, pour le bien du public,
Vivez prince, & passez dans la paix, dans la guerre,
Surtout dans les plaisirs, tous les jets de la terre,
Téodoric, Ulric, Genferic, Alaric,
Dont aucun ne vous vaut selon mon pronostic.
Mais lorsque vous aurez de victoire en victoire
Arondi vos états ainsi que votre gloire,
Daignez vous souvenir que ma tremblante voix
En chantant vos vertus présagea vos exploits:
Songez bien qu'en dépit de la grandeur suprême
Votre main mille fois m'écrivait je vous aime.
Adieu grand politique, & rapide vainqueur,
Trente états subjugués ne valent point un cœur.