Je me sçais bon gré, Monsieur, de m'être rendu un peu difficile à vôtre égard; j'en suis récompensé par le dernier Ecrit que vous m'avés envoyé sur les Forces vives.
Il est clair, concluant, et concis, et, pour tout dire, il est digne de paroître sous vôtre nom. C'est là du moins le jugement que j'en porte à la première lecture, et j'espère que ce sera celui de l'Académie, à qui je compte le présenter, comme vous le désirés. Mais laissés moi, je vous prie, ménager les temps, et les circonstances. Nous voici à la Rentrée de Pâques, et à l'Assemblée publique, qui sera Mécredi prochain. L'assemblée suivante est destinée à Mrs de l'Académie des Inscriptions, qui viennent nous lire leur semestre, après quoi nous serons dans le courant, et nous parlerons d'affaires.
Vos cajoleries sont peutêtre aussi dangereuses pour moi, que vos argumens vont le devenir pour les partisans des Forces vives, nommés par vous Forceviviers. Je crains les suites d'un poison que j'avale à longs traits. Cependant jusqu'ici je ne m'en sens que plus fort et plus robuste, surtout depuis que vous m'avés comparé à Hercule. Ce Héros, dites vous, alla combattre sans ménagement les Amazones, qui, selon moi, ne lui disoient mot. Trouveriez vous bon après cela, que moi pauvre Hercule pacifique, qui ne prends la massuë, si massuë il y a, que pour ma deffense, j'eusse été faire le doucereux, ou me donner un air de négligence et de supériorité avec celle qui me déclare la guerre, lorsque je devois le moins m'y attendre? Dum medias inter cœdes exultat Amazon? Non, Monsieur, cela ne seroit ni prudent ni honnête. La forme que j'ai prise, toute respectueuse et fondée sur l'estime, est la seule qui me convient, et qui me conviendra si la guerre continue.
Je ne l'aime pas cette guerre, quoique vous puissiés dire en sa faveur. Vôtre exemple que vous me cités, et les combats littéraires que vous projettés avec Mme la Mise du Châtelet, ne tirent nullement à conséquence pour moi, et ne me tentent pas; vous êtes tous les deux trop difficiles à imiter. Vous pouvés faire ensemble tel accord que vous jugerés à propos là dessus; il tournera à l'avantage du Public. Mais je n'ai ni le loisir, ni les talents nécessaires pour me joüer avec ce Public. Ma plume n'est point assés légère pour voltiger agréablement autour des Sçavans dont j'intéresserois la réputation. Je tâche d'aller droit à mon fait, sans les compromettre et je suis bien obligé à ceux qui en usent de même à mon égard. Voilà, mon cher Philosophe, le langage de la Vérité, le seul auquel je me sois exercé jusqu'ici, et que je voudrois sçavoir mieux parler si le ciel m'avoit accordé des talents. Je dis pourtant fort bien ce que je veus dire, et ce que je sens, quand je vous assure Monsieur, que personne au monde ne vous honore, et ne vous chérit plus parfaitement que je fais.
A Paris ce 8e Avril 1741