1741-01-17, de Voltaire [François Marie Arouet] à Bonaventure Moussinot.

Je reçois mon cher amy votre lettre du 13 avec un petit billet concernant le sr le Moine.
Je pouray le servir auprès de M. d'Argenson, nouvau chancelier.

Donnez je vous prie au sr la Porte l'argent qu'il vous demandera sur les mémoires jusques à l'année 1741 exclusivement.

Je ne compte point presser pour le payement de mes pensions avant le mois de mars, temps au quel j'auray l'ordonnance de l'année échue à noël. Je me feray payer de tout à la fois.

Je crois que celuy qui avoit fait graver mon portrait en bague avoit fait marché à sept louis. Je vous laisse absolument maître de cette affaire. Il ne faut jamais payer en duppe mais toujours généreusement.

Je vous suplie mon cher abbé de faire l'aquisition d'un petit lustre de cristaux de Boeme d'environ 250lt. Je ne veux point de ces anciens petits cristaux, mais de ces gros cristaux nouvaux, semblables à ceux que vous m'envoyâtes à Cirey. Je vous prie de vouloir bien faire au plutost cette petite acquisition et de l'envoyer bien encaissée et garanti par le marchand à monsieur Denis à Lisle, commissaire des guerres, avec un petit mot d'avis. Ne manquez pas d'ajouter le cordon de soye, la houppe et jusqu'au crampon. Payez le port et que la galanterie soit complette. Je vous seray très obligé.

Ces 4 sacs de 1200lt vous restentils, les mille livres données à mr du Chastelet?

Arouet a t'il payé? Je crois que non, s'il ne vous reste que ces 4 sacs.

Comptez vous dans ces sacs les 1400lt payez par Bouju?

Il me semble qu'au mois de septembre, vous aviez environ 5200, ce qui joint aux 1400 de Bouju font 6600
cinquante louis à me, et 1000H à mr du Chastelet font 2200
resteroit 4400

Ayez la bonté de me mettre au fait et de vouloir bien me donner un petit borderau de ce qu'on me doit au terme de noël, car il y a longtemps que j'ay perdu le fil de mes affaires. Je crois vous avoir déjà mandé que j'avois délégué icy mes rentes sur la ville. Ainsi il faut rayer cet article aussi bien que celuy de mr de Guise.

Quant aux tablaux que vous voudriez envoyer en Prusse, le roy aime fort les Vataux, les Lancrets, et les Pater. J'ay vu chez luy de tout cela, mais je soupçonne 4 petits Vataux qu'il a dans son cabinet d'être d'excellentes copies. Je me souviens entre autres d'une espèce de noce de village, où il y a un vieillard en cheveux blancs très remarquable. Ne connaissez vous point ce tablau? Tout fourmille en Allemagne de copies qu'on fait passer pour des originaux. Les princes sont trompez, et trompent quelquefois.

Quand le roy sera de retour à Berlin je pouray luy procurer quelque morceau de votre cabinet, où il ne sera pas trompé; mais à présent il a autre chose en tête. Il m'a offert honneurs, fortune, agréments; mais j'ay tout refusé pour revoir mes anciens amis.

Je vous embrasse tendrement mon cher amy.

V.