1740-12-27, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jacques de Champflour.

J'ay trouvé à la Haye Monsieur une lettre dont vous m'honorâtes il y a environ un mois.
Je ne pouvois la recevoir dans des circomstances plus convenables pour Mr votre fils. Monsieur l'ambassadeur de France en luy procurant les secours nécessaires n'a pas seulement suivi son zèle, il y a encor été déterminé par l'intérest qu'on ne peut s'empêcher de prendre, pour un père aussi respectable que vous. J'ay vu la lettre que vous avez écrite à monsieur votre fils. Elle m'a inspiré monsieur la plus forte estime pour vous, et j'ose même dire de la tendresse. Il est inutile sans doute de faire sentir à monsieur votre fils ce qu'il doit à un si bon père. Il m'en paroit pénétré. Il seroit indigne de vivre s'il ne s'empressoit pas de venir mériter chez vous par ses sentiments et par sa conduite, votre indulgence et votre amitié. Son caractère me paroit à la vérité vif et léger, mais le fond est plein de droiture et s'il vous aime, les fautes que la seule jeunesse fait comettre seront bientôt oubliées.

Je compte le mener à Bruxelles, et là, suivant les ordres de Monsieur de Fenelon et les vôtres, faire partir pour Luxembourg, la personne qui l'a un peu écarté de son devoir. Elle n'est point sa femme. Il l'avoit d'abord annoncée sous ce nom, pour couvrir le scandale. Monsieur votre fils trouvera à Bruxelles le ministre de France monsieur Dagieu, très honnête homme qui sera plus à portée que moy de vous rendre service. Je me joindrai à lui pour rendre un fils au meilleur des pères; je ne cesseray pendant la route de cultiver dans son cœur les semences d'honneur et de vertu qu'un jeune homme, né de vous, doit nécessairement avoir. Permettez moy monsieur de saisir cette occasion d'assurer toute votre famille de mes respects, et de vous prier aussi de vouloir bien faire souvenir de moy votre respectable prélat, à qui je souhaite une vie presque aussi durable que sa gloire.

J'ay l'honneur d'être monsieur avec tous les sentiments qu'on ne peut refuser à un caractère si estimable,

Votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire